Les députés européens se montrent inquiets de la dégradation du processus démocratique, justice et droits de l’homme au Rwanda.
En date du 05 octobre 2016, le Parlement européen a clarifié sa position au point de vue justice au Rwanda, de manière générale et particulièrement l’affaire Madame Victoire Ingabire Umuhoza. Les députés européens interpellent le président Rwandais. Ils éclaircissent l’état de chose au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies, au Secrétaire général de l’Organisation des Nations unies, aux institutions de l’Union africaine, à la Communauté de l’Afrique de l’Est, à l’Assemblée parlementaire paritaire ACP-UE, aux États membres de l’Union européenne.
Résolution du Parlement européen sur le Rwanda: l’affaire Victoire Ingabire (2016/2910(RSP))
Le Parlement européen,
– vu sa résolution du 23 mai 2013 sur le Rwanda: l’affaire Victoire Ingabire(1),
– vu la charte africaine des droits de l’homme et des peuples,
– vu la charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance,
– vu les directives et principes sur le droit à un procès équitable et à l’assistance judiciaire en Afrique,
– vu la convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
– vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, ratifié par le Rwanda en 1975,
– vu les résultats de l’examen périodique universel 2015 du Rwanda et les observations finales formulées en 2016 par le Comité des droits de l’homme des Nations unies,
– vu l’accord de Cotonou,
– vu la déclaration du 3 décembre 2015, faite au nom de l’Union européenne par Federica Mogherini, haute représentante, sur la révision de la Constitution du Rwanda,
– vu la déclaration commune locale de l’Union du 18 décembre 2015 sur le référendum sur un projet de Constitution au Rwanda,
– vu le communiqué de presse du 16 mars 2016 des Forces démocratiques unifiées sur l’appel interjeté par la prisonnière politique Victoire Ingabire Umuhoza,
– vu le rapport 2015 de l’organisation Freedom House sur le Rwanda,
– vu le rapport d’Amnesty International sur le Rwanda 2015-2016,
– vu le rapport d’Amnesty International, intitulé «La Justice mise à mal: le procès en première instance de Victoire Ingabire», publié en 2013,
– vu la réponse de la vice-présidente / haute représentante, Catherine Ashton, à une question écrite du Parlement européen sur Victoire Ingabire (séance plénière du 4 février 2013),
– vu la déclaration de l’organisation Human Rights Watch intitulée «Rwanda: une activiste de l’opposition portée disparue», publiée le 29 septembre 2016,
– vu le rapport 2014 sur le Rwanda du rapporteur spécial des Nations unies sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association,
– vu l’article 135, paragraphe 5, et l’article 123, paragraphe 4, de son règlement,
A. considérant que le Rwanda est l’un des rares pays d’Afrique à jouer un rôle clé dans la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement, notamment dans des domaines tels que l’égalité des sexes, l’émancipation des femmes, l’enseignement primaire pour tous, la mortalité infantile et maternelle, la prévalence du VIH et la viabilité environnementale;
B. considérant que la forte croissance économique du pays s’est accompagnée d’améliorations significatives des conditions de vie, comme le montrent le fait que la mortalité infantile ait été réduite des deux tiers et que presque tous les jeunes enfants soient inscrits à l’école primaire;
C. considérant que les efforts politiques et économiques visant à améliorer l’économie du pays en l’orientant davantage vers l’industrie et les services se poursuivent;
D. considérant que, le 30 octobre 2012, Victoire Ingabire, présidente des Forces démocratiques unifiées (FDU-Inkingi), jugée coupable, sur la base de ses relations présumées avec les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), de conspiration visant à nuire aux autorités en ayant recours au terrorisme et de minimiser le génocide de 1994, a été condamnée à une peine de réclusion de huit ans;
E. considérant qu’en septembre 2016, une délégation du Parlement européen s’est vu refuser l’accès à Victoire Ingabire, dirigeante de l’opposition emprisonnée; que, bien que le motif principal de la visite ait été le rôle des femmes dans la société et leur émancipation, le ministère des affaires étrangères et de la coopération a estimé qu’il n’y avait «aucune raison particulière pour que Victoire Ingabire, détenue à laquelle s’appliquent les lignes directrices et la réglementation nationales en matière de détention, reçoive la visite de députés au Parlement européen en mission officielle»;
F. considérant que la mission a constaté que d’importants défis restent à relever dans le domaine du rôle des femmes dans la société, notamment en matière d’accès à l’éducation dans les zones rurales et d’amélioration de l’égalité des droits à la propriété et de l’accès aux emplois non agricoles; que la situation des droits de l’homme dans le pays, notamment en matière de participation politique et de liberté d’expression, demeure préoccupante, tandis que la société civile indépendante est encore très vulnérable;
G. considérant que de nombreuses organisations de défense des droits de l’homme ont dénoncé les graves irrégularités qui ont entaché le procès en première instance de Victoire Ingabire, qui n’a pas été jugée de manière équitable; que, dans son rapport, Amnesty International attire l’attention sur des déclarations publiques préjudiciables faites par le président du Rwanda avant le procès ainsi que sur l’utilisation d’aveux de détenus au Camp Kami, où on aurait eu recours à la torture pour leur extorquer lesdits aveux; qu’en mai 2013, après avoir témoigné contre Victoire Ingabire devant la Haute Cour rwandaise en 2012, quatre témoins de l’accusation et un co-accusé ont révélé à la Cour suprême que leurs témoignages avaient été falsifiés;
H. considérant que, le 13 septembre 2012, Victoire Ingabire Umuhoza – ainsi que deux autres figures politiques du Rwanda, Bernard Ntaganda et Deogratias Mushyayidi – a été nommée pour le Prix Sakharov 2012 du Parlement européen pour la liberté de l’esprit;
I. considérant qu’en 2015, Mme Ingabire a interjeté un appel devant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, accusant le gouvernement rwandais de bafouer ses droits; qu’en mars 2015, le Rwanda s’est retiré de la Cour africaine en arguant que les juridictions nationales étaient tout à fait capables de traiter l’ensemble des affaires locales; que, le 26 février 2016, soit quelques jours à peine avant l’audience d’une affaire intentée par Victoire Ingabire contre le gouvernement rwandais, le Rwanda a retiré sa déclaration acceptant la compétence de la Cour africaine pour connaître des affaires soumises directement par les particuliers;
J. considérant que, d’après FDU-Inkingi, le parti de Victoire Ingabire, les conditions de détention de Mme Ingabire se sont gravement détériorées depuis avril 2016; qu’elle est privée de repas en provenance de l’extérieur adaptés à son régime alimentaire particulier et que son certificat médical a été invalidé;
K. considérant qu’entre autres vexations, FDU-Inkingi n’a pas pu s’enregistrer pour être reconnu juridiquement en tant que parti politique, et que plusieurs de ses membres ont été menacés, arrêtés et emprisonnés;
L. considérant que plusieurs membres de partis d’opposition demeurent emprisonnés; qu’Illuminée Iragena, infirmière et militante politique liée à FDU-Inkingi, est portée disparue depuis cinq mois et que l’on craint pour sa sécurité; que Léonille Gasengayire, trésorière de FDU-Inkingi, a été arrêtée le 23 août 2016 et accusée d’incitation à l’insurrection publique;
M. considérant que le Rwanda se classe 161e sur 180 pays dans le classement mondial 2016 de la liberté de la presse; que la liberté de la presse continue de se détériorer, les journalistes indépendants étant souvent harcelés, menacés et arrêtés; que les journalistes exilés et étrangers sont de plus en plus victimes de tentatives illicites d’intimidation, de violences et de disparitions forcées pour avoir critiqué, dans le cadre de leur travail journalistique, des fonctionnaires haut placés;
N. considérant qu’en octobre 2014, le gouvernement a suspendu pour une durée indéterminée le service de radiodiffusion en langue kinyarwanda de la BBC (British Broadcasting Corporation) à la suite de la diffusion d’un documentaire controversé produit par la BBC portant sur le génocide de 1994 au Rwanda;
O. considérant que le renforcement de la démocratie, qui repose entre autres sur la garantie de l’indépendance de la justice et sur la participation des partis d’opposition, est absolument essentiel, surtout en amont des élections présidentielles prévues en 2017;
P considérant que les irrégularités commises par la justice rwandaise lors du procès pénal de Victoire Ingabire remettent en question la capacité de l’appareil judiciaire du pays à connaître des affaires politiques à fort retentissement;
Q. considérant que le Rwanda est un acteur incontournable de la région des Grands Lacs et qu’il peut jouer un rôle de premier plan dans le processus de stabilisation, y compris en luttant contre le trafic de minerais et d’autres ressources naturelles; que le groupe d’experts des Nations unies sur la République démocratique du Congo recommande, dans son rapport publié en 2015, que le Rwanda enquête sur les responsables du trafic d’étain, de tantale et de tungstène, ainsi que du blanchiment de minerais de la République démocratique du Congo au Rwanda, et les traduise en justice;
1. condamne fermement les procès politiquement motivés, la poursuite d’opposants politiques et l’issue décidée à l’avance du procès; invite instamment le gouvernement rwandais à reproduire, dans le domaine des droits de l’homme, les progrès spectaculaires que le pays a accomplis dans les domaines social et économique, afin de réussir la transition vers une démocratie moderne et inclusive; invite instamment les autorités rwandaises à veiller à ce que l’appel interjeté par Victoire Ingabire donne lieu à une procédure équitable conforme aux normes du droit rwandais et du droit international; insiste sur le fait que les procès et les chefs d’accusation ne sauraient reposer sur des lois vagues et imprécises interprétées à mauvais escient, comme c’est le cas dans l’affaire Victoire Ingabire;
2. se dit vivement préoccupé par le rejet de l’appel par la Cour suprême rwandaise, par l’arrêt de celle-ci condamnant Victoire Ingabire à une peine de réclusion de 15 ans et par la détérioration des conditions de détention de Mme Ingabire; estime que la procédure d’appel telle qu’elle s’est déroulée au Rwanda n’était pas conforme aux normes internationales, le droit de Mme Ingabire à la présomption d’innocence ayant été bafoué;
3. souligne que le retrait du Rwanda, en mars 2016, de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, quelques jours à peine avant l’audience de l’appel interjeté par Victoire Ingabire, est circonstanciel et vise à limiter l’accès direct des particuliers et des ONG à la Cour;
4. rappelle aux autorités rwandaises que l’Union européenne exprime des préoccupations quant au respect des droits de l’homme et du droit à un procès équitable dans le cadre du dialogue politique officiel avec le Rwanda au titre de l’article 8 de l’accord de Cotonou; demande une révision prompte et impartiale de l’affaire Victoire Ingabire qui s’appuie sur des faits, respecte le droit et soit libre de toute restriction, influence indue, pression ou menace; demande que les droits de Victoire Ingabire, dont le droit à une représentation en justice et à bénéficier d’un régime alimentaire et de soins adéquats, soient respectés pendant son séjour en prison;
5. condamne tout acte d’intimidation, toute arrestation, tout emprisonnement et toute poursuite visant, uniquement parce qu’ils ont exprimé leur opinion, les dirigeants, les membres et les militants des partis d’opposition ou les journalistes et les autres personnes perçues comme exprimant des critiques à l’égard du gouvernement rwandais; invite instamment les autorités rwandaises, à cet égard, à réexaminer et à modifier, afin de garantir la liberté d’expression, le droit national, en particulier les articles 463 et 451 du code pénal, qui limitent cette liberté;
6. invite le gouvernement rwandais à faire preuve de bonne volonté pour enquêter sur les abus présumés commis à l’encontre de militants de l’opposition et de journalistes et à rendre les centres de détention militaires conformes aux lois rwandaises et aux normes internationales; invite instamment les autorités rwandaises à libérer immédiatement toutes les personnes et les autres militants emprisonnés ou inculpés uniquement parce qu’ils ont exercé leur droit à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique, ainsi qu’à veiller à la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, en particulier à l’indépendance de la justice;
7. invite instamment les autorités rwandaises à redoubler d’efforts pour enquêter sur ce qui est arrivé à Illuminée Iragena, John Ndabarasa, Léonille Gasangayire et à d’autres personnes dont ont craint qu’elles n’aient été victimes d’une disparition forcée, à révéler où ces personnes se trouvent et, si elle ont été placées en détention, à les libérer ou à respecter leur droit à un procès, ainsi qu’à veiller au caractère équitable des procès d’opposants, d’opposants présumés et de personnes critiques à l’égard du gouvernement, cas de figure duquel relèvent les procès de Frank Rusagara, Joel Mutabazi, Kizito Mihigo et de leurs co-accusés respectifs;
8. invite instamment les autorités rwandaises à garantir la tenue d’élections pacifiques, crédibles et transparentes en 2017, et demande au gouvernement de dialoguer avec l’opposition en amont des élections; affirme son soutien à l’organisation d’une mission électorale à long terme de l’Union européenne pour les élections présidentielles de 2017, chargée d’évaluer en particulier l’espace politique et les libertés fondamentales;
9. rappelle aux autorités rwandaises que la démocratie se fonde sur un gouvernement pluraliste, une opposition effective, des médias et un appareil judiciaire indépendants, le respect des droits de l’homme et les droits d’expression et de réunion; invite, à cet égard, le Rwanda à ouvrir son espace politique, à respecter ces fondements de la démocratie et à améliorer son bilan en matière de droits de l’homme; attend du Rwanda qu’il mette en œuvre les recommandations, datant de 2014, du rapporteur spécial des Nations unies sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association;
10. invite instamment les autorités rwandaises à réexaminer, dans les plus brefs délais, la déclaration du Rwanda acceptant la compétence de la Cour africaine pour connaître des affaires soumises directement par les particuliers et les ONG, en vue de la rétablir;
11. demande à l’Union européenne et à ses partenaires internationaux de continuer à soutenir la population rwandaise dans son action en vue d’instaurer la paix et la stabilité dans le pays comme dans l’ensemble de la région;
12. demande à la Commission de réexaminer régulièrement le soutien accordé par l’Union aux institutions du gouvernement rwandais, afin de veiller à ce que ledit soutien promeuve pleinement les droits de l’homme, la liberté d’expression et d’association, le pluralisme politique et l’existence d’une société civile indépendante;
13. charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, à la vice-présidente / haute représentante, Federica Mogherini, au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies, au Secrétaire général de l’Organisation des Nations unies, aux institutions de l’Union africaine, à la Communauté de l’Afrique de l’Est , à l’Assemblée parlementaire paritaire ACP-UE, aux États membres de l’Union européenne, aux défenseurs de Victoire Ingabire ainsi qu’au président du Rwanda.
http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-%2F%2FEP%2F%2FTEXT+MOTION+P8-RC-2016-1061+0+DOC+XML+V0%2F%2FFR