04/03/2021, par Tharcisse Semana
L’entrée fracassante d’une jeune femme rescapée du «Génocide des Tutsi», Yvonne Iryamugwiza Idamange, sur la scène médiatique a beaucoup suscité des remous dans les rangs du Front patriotique rwandais (FPR) et ses services, dont notamment la Commission nationale de lutte contre le Génocide (CNLG). Ceux de l’autre bord, les langues se sont déliées pour manifester et dénoncer publiquement les dérives de ce parti militaro-dictatorial au pouvoir depuis 1994: discours haineux et actions viles et honteuses de ses agents ou acolytes. Décryptage et analyse de cet événement hautement médiatisé et politisé.
Tout part des mesures de confinement drastiques prises par le Gouvernement rwandais. Des mesures copiées textuellement de l’Occident, principalement de la France et de la Belgique: couvre-feu strict à 18 heures, arrêt de toutes les activités génératrices de revenus permettant aux gens de nourrir leurs familles. Ouverture uniquement des magasins alimentaires. En plus de cela, on instaure des mesures de «distanciation sociale» et de «port des masques». Des nouvelles notions sociologiques introduites et inhabituelles aux Rwandais.
En effet, ces mesures d’Europe imposées de force restreignent la solidarité et convivialité africaines. Dans le contexte africain et rwandais, en particulier, elles inspirent la solitude et enfreignent les impératifs moraux, sociaux et culturels, surtout en matière de mariage et de funérailles. Elles éloignent et éteignent complètement la vie familiale et sociale.
Ces mesures adoptées et appliquées à la lettre au Rwanda, à nos yeux de sociologue africain, ouvrent davantage les portes à l’individualisme et concoctent le «capitalisme sauvage » déjà en cours. Le comble c’est qu’elles n’ont même pas été présentées comme une nouvelle expérience à tester pour essayer de contrecarrer le coronavirus mais plutôt en des lois tombées du ciel. Le Talmud des juifs ou plutôt la Torah que Dieu aurait remis aux mains propres des autorités rwandaises à l’instar de Moïse sur le mont Sinaï ! Des lois coronavirus trop dures et strictes.
Créées pratiquement «ex nihilo », donc à partir de rien, ces nouvelles lois sont venues exacerber la situation des populations pauvres et malmenées. Car, les gens vivent dans la précarité et dans certains quartiers de Kigali ils sont quotidiennement expulsés «manu militari» de leurs biens, sans être préalablement indemnisés. Ces gens qui trouvent difficilement de quoi nourrir leurs familles et voient leurs maisons démolies ne comprennent pas comment un État qui se dit démocratique peut prendre de telles mesures sans tenir compte de leur situation et du pays, en général.
Ces mesures qui, aux yeux des autorités rwandaises – et non pas aux yeux de la population – visent à contrecarrer et stopper la propagation de la pandémie coronavirus. Elles sont beaucoup critiquées et jugées inadaptées au contexte rwandais. Malgré ces critiques acerbes et la grogne de la population, elles sont appliquées. Et leur application ne tient toujours pas compte de la situation spécifique du pays. La population les trouve donc non seulement étrangères à elle mais aussi inhumaines.
Les lois qui en résultent – Torah des faux Moïse des Rwandais – sont jugées non seulement très répressives mais aussi imprécises. Un plan d’homicides volontaires concocté par le Gouvernement rwandais ! Les autorités qui les ont émises ou édictées sont ipso facto vues d’irresponsables et insoucieuses de la vie quotidienne de la population. Elles sont même qualifiées de «mercenaires, abacanshuro» des néo-colonialistes occidentaux. Un jugement très sévère de nombreux rwandais – de l’intérieur comme d’ailleurs ceux de l’extérieur – qui se base sur les décisions que ces autorités [rwandaises] prennent par rapport aux pays voisins, comme par exemple, la Tanzanie ou le Burundi. Ces deux pays voisins n’ont jamais contraint leurs populations à fermer les lieux de cultes (églises ou mosquées), ou à arrêter les activités professionnelles ou de revenues permettant aux gens de faire vivre leurs familles, etc.
C’est dans ce contexte socio-politico-économique déjà tendu que va surgir Madame Idamange Iryamugwiza Yvonne. Elle en a vraiment marre et veut exprimer publiquement son ras-le-bol. Un ras-le-bol qu’elle partage avec beaucoup de Rwandais. Un ras-le-bol que beaucoup aimerait exprimer publiquement comme Madame Idamange mais à cause de la peur et surtout des tabassages policiers personne n’ose le faire. Car, pour échapper à la répression, beaucoup préfèrent le dire à voix basse et aux coins de leurs salons.
Mais alors… ! Que faire dans une capitale resplendissante des «residential Building», comme Kigali, où l’aide sociale n’existe pas et les gens n’arrivent pas à trouver à manger suite à ce confinement inadapté et imposé ? Faut-il croiser les bras ou plutôt braver les interdits, les lois répressives et homicides et décrets administratifs? C’est ce que Madame Idamange Iryamugwiza Yvonne a osé faire et appelle à faire.
Idamange, la «Voix des Sans-Voix».
Madame Idamange estimant que les médias [locaux et internationaux] ne parlent ni osent dénoncer ces mesures disproportionnées de l’autorité rwandaise, elle emprunte la voie des réseaux sociaux et ouvre un compte You Tube «Idamange» par lequel elle fait passer son message. Ne voulant pas se limiter à des mesures coronavirus seulement, Madame Idamange choisit délibérément d’élargir les angles et d’interpeler les autorités rwandaises sur plusieurs sujets sensibles: mesures restrictives de confinement prises à contrario du contexte spécifique rwandais, mesures délibérées et insoucieuses de la promotion de la qualité de l’enseignement des enfants des pauvres, durcissement des lois répressives contre la presse et violations massives des droits de l’homme dont la liberté d’expression et d’opinion.
Très croyante et observatrice de bonne conscience de la société rwandaise, Madame Idamange s’autorise à interpeller également les autorités rwandaises sur la fermeture irrespectueuse des lieux de cultes/liberté de religion et sur l’injustice criante résultant du totalitarisme de l’État qui prône le « capitalisme sauvage » où les plus puissants et des riches proches du pouvoir s’accaparent librement les terres des pauvres et démolissent leurs maisons au vue de tout le monde sans les avoir expropriés ou indemnisés.
Madame Idamange ne s’arrête pas là. Elle enfonce le clou et dénonce énergiquement des disparitions et exécutions sommaires des survivants tutsis. Elle critique et décrie également l’exploitation du «Génocide », des douleurs des rescapés et des sites mémoriaux à des fins politiques et économiques, etc.
Dans toutes ces vidéos, elle pointe du doigt et met en question l’attitude du gouvernement et des associations ayant dans leurs attributions la défense et le soutien moral et financier des rescapés. Elle part d’une série des cas bien connus pour montrer et dénoncer l’indifférence manifeste et total et le manque de compassion du gouvernement et de ces associations qui se disent défenseuses des rescapés. Le cas récent notoire est, par exemple, celui de la mort du célèbre chanteur Kizito Mihigo dont la police prétend dire qu’il se serait suicidé en prison alors qu’il était sous leur surveillance.
Le fait qu’aucun membre du gouvernement ou de ces associations n’ait participé à ses funérailles – pour manifester leur compassion aux rescapés et réconforter la famille endeuillée comme d’ailleurs la culture rwandaise l’exige – cela montre combien la peine des rescapés n’a aucun sens pour le gouvernement ni pour ces associations. En terme éthique ou morale, ils ont enfreint les impératifs sociaux, politiques et culturels dont ils devraient pourtant être gardiens. Et c’est sur ces points que Mme Idamange les interpelle et les accuse même de vouloir étouffer délibérément toutes les voix qui réclament une enquête indépendante sur la mort de ce chanteur et d’autres rescapés assassinés ou portés disparus.
Déchainée et furieuse mais consciencieuse de ce qui l’attend (la mort ou prison), elle monte au créneau pour accuser les autorités rwandaises d’être en connivence avec la Commission nationale de lutte contre le Génocide (CNLG) et IBUKA, associations de défense des rescapés, dans le détournement des fonds destinés aux rescapés.
En effet, Mme Idamange accuse le leadership rwandais et ces associations, non seulement d’immoralité mais aussi d’indifférentisme et immobilisme politique. Ainsi, va-t-elle même oser déclarer «la mort du président Kagame» et à interpeller les hauts gradés de l’armée – officiers généraux – à faire quelque chose pour secourir, voire donc libérer les Rwandais.
Mme Idamange ne s’arrête donc pas là. Elle va aussi critiquer la gestion des sites mémoriaux dans lesquels les restes des victimes sont exposés. Pour Madame Idamange – et d’ailleurs pour tout Rwandais qui se respecte –, cela est inadmissible. Car, non seulement cette attitude est irrespectueuse de la dignité de la personne humaine mais aussi de la culture rwandaise qui nous recommande vivement l’enterrement des morts et l’entretien de leurs sépultures.
Toutes ces doléances que Madame Idamange formule à l’État rwandais au nom du peuple, elle les consigne dans ses vidéos publiées sur YouTube « Idamange » depuis le 31 janvier 2021 jusqu’au 15 février 2021.
Dans sa dernière vidéo du 15/02/2021, elle invitait tous les rwandais à faire une marche pacifique qui aurait dû se dérouler mardi le 16 février 2021 – le jour de son arrestation – vers le palais présidentiel sis à Kacyiru-Kigali. Elle appelait également les rwandais résidant en dehors de la capitale Kigali à se rendre aux bureaux des autorités régionales les plus proches de leurs localités afin de manifester et faire entendre leurs voix. Les Rwandais de la diaspora, quant à eux, étaient conviés à manifester devant les ambassades du Rwanda.
En guise de réaction, le gouvernement rwandais a initié et organisé une campagne de lynchage à travers les réseaux sociaux et ses médias. Cette campagne était non seulement à l’encontre de Mme Idamange pour la faire taire mais aussi visait à faire peur et à démoraliser quiconque aurait l’intention de l’imiter.
Cette campagne haineuse proférée par le gouvernement rwandais devenait de plus en plus tenace et menaçante dès déjà les trois premières vidéos diffusées. La sécurité et la vie de Mme Idamange était donc en danger, avant même sa dernière vidéo qui a été le point culminant de son arrestation.
Elle était donc devenue la cible du gouvernement et traitée de tous les maux par les vuvuzela de ce régime sanguinaire: une fausse rescapée, une tutsi devenue pire qu’interahamwe, négationniste ou encore révisionniste du «Génocide», etc. Bref, une maman très respectueuse dans ses propos interpellant les autorités rwandaises à prêter l’oreille au cri du peuple qui a été malheureusement vilipendée et mise au banc d’infamies.
En l’espace de deux semaines seulement, Mme Idamange était devenue la nouvelle bête noire du régime mais aussi, du côté de l’opposition, une héroïne de la liberté d’expression. Dans ses six vidéos postées avant son arrestation le 16 février, elle accuse sans aucun détour son gouvernement de profiter du coronavirus pour cadenasser davantage les espaces de liberté d’expression et vouloir faire mourir les pauvres de faim.
Saluée par la communauté rwandaise dans l’ensemble et l’opposition, en particulier, tant de l’intérieure que de l’extérieure, elle a été immédiatement vilipendée par les acolytes et adhérents fervents du système et ses services, dont notamment la Commission Nationale de Lutte contre le Génocide (CNLG), l’association des rescapés tutsis IBUKA qui ont vite appelé à son assassinat ou arrestation. Ces vuvuzela du régime sanguinaire au pouvoir et leurs alliées l’accusent de minimiser le génocide. Un crime impardonnable au Rwanda. Ils sont allés trop loin même jusque à la traiter de « fausse » rescapée, pour dire qu’elle n’est réellement pas de l’ethnie tutsi.
Dans un pays où la liberté d’expression est quasi inexistante, voire donc très limitée, notre youtubeuse devenue controversée sur les réseaux sociaux, assurait déjà – avant qu’elle soit arrêtée à son domicile – qu’elle ne pouvait rester silencieuse alors que ses compatriotes souffrent et meurent de faim.
Quand le mensonge prend l’ascenseur, la vérité, elle, prend l’escalier !
Eh bien, il est maintenant vrai et vérifiable que « Le mensonge donne toujours des fleurs mais jamais des fruits ». C’est ce que croit, en tout cas, Joseph Matata, coordinateur du Centre de Lutte contre l’injustice et l’impunité au Rwanda (CLIIR). Ce marathonien rwandais des droits de l’homme appelle depuis longtemps les Rwandais, en particulier les rescapés Tutsi, a ‘‘refuser l’inacceptable’’ : être une caisse de résonance du système sanguinaire dans sa propagande haineuse et sa politique mensongère. Un vibrant appel qui a trouvé un bon accueil chez Mme Idamange et d’autres rescapés. Une heureuse nouvelle de ce marathonien rwandais des droits de l’homme qui ne transige jamais avec ce régime et appelle de tous ses vœux à le démystifier, à le combattre, à lutter et à déconstruire sa culture du mensonge imposée depuis 1994.
Ce défenseur infatigable des droits de l’homme dénonce depuis déjà plusieurs années, – sans être écouté – l’instrumentalisation des rescapés Tutsi et des Hutu cadres et ordinaires. Beaucoup d’entre eux sont devenus ces derniers temps des agents féroces de la propagande mensongère du FPR et praticiens de la mise en œuvre de sa politique répressive. C’est ce que ce marathonien des droits de l’homme appelle un «réseau de délateurs» pour le régime militaro-dictatorial. Lire et écouter l’intégrité de son interview exclusive publiée dans notre édition du 22/11/2018 : ”Le mensonge est le biberon des Rwandais”, Joseph Matata.
Le rêve de ce défenseur des droits de l’homme commence aujourd’hui à prendre sens et être non seulement le rêve d’un seul homme mais plutôt de tous les Rwandais. Car, effectivement, comme le dit Elder Camara «lorsqu’on rêve tout seul, ce n’est qu’un rêve alors que lorsqu’on rêve à plusieurs c’est déjà une réalité». Une pure et simple vérité proche de celle-ci qui dit que «le mensonge prend toujours l’ascenseur et n’arrive nulle part, alors que la vérité, elle, elle prend l’escalier et arrive jusqu’au bout»!
Et c’est ce qui est en train de se réaliser au Rwanda où le Front patriotique rwandais au pouvoir depuis 1994 a pensé que son mensonge restera toujours le biberon des Rwandais, pour emprunter l’expression de Joseph Matata, et que alors maintenant beaucoup commencent à le démasquer et le défier dans sa politique de capitalisation du «Génocide».
«Génocide», un fonds de commerce qui n’a plus aujourd’hui de client !
Refuser d’être instrumentalisé. Depuis 1994 jusqu’à ce jour, le «Génocide contre les tutsis» était devenu un fonds de commerce. Une recette exclusive du FPR largement vendue, durant ces 26 ans, en Occident et dans quelques peu de pays africains. Une recette qui, jusqu’à ce jour, n’avait manifestement pas encore séduit le monde oriental. Une recette aujourd’hui qui peine à tenir ses résistances malgré son brevet hautement protégé.
L’entrée fracassante d’une jeune femme, Yvonne Iryamugwiza Idamange, sur la scène publique a encore démasqué et mis à nu la politique du Front patriotique rwandais (FPR) du mensonge sur le «Génocide rwandais». Les langues, surtout celles des rescapés tutsis de l’intérieur, commence à se délier petit à petit. Une prise de conscience de l’exploitation politico-politicienne démesurée du «Génocide contre leurs congénères tutsi». La politique du FPR s’écroule petit à petit et au grand jour.
La défense de la cause des tutsi qui a été, pour le FPR, un excellent tremplin – un motif justifié aux yeux des grandes puissances occidentales – pour accéder au pouvoir avec les kalachnikovs n’a plus aujourd’hui de crédits.
Ce mythe n’a pour le moment aucun fondement aux yeux des tutsi qui, depuis 26 ans, ont été politiquement utilisés pour miroiter la bonne image du FPR au monde. Ils ne veulent plus continuer d’être le bouclier du pouvoir autocratique et sanguinaire de Kigali. Une prise de conscience un peu tardive mais quand-même très fructueuse pour le changement. Une révolution en marche où l’indignation des plus jeunes, surtout, surfe sur la face. Une révolution sociale et politique en ébullition. Une urgence mais aussi une chance pour le FPR à accepter d’ouvrir des espaces politiques et négocier avec ses détracteurs pour éviter un bain de sang au Rwanda.
Le pouvoir n’en a donc plus d’autres choix que d’accepter le débat sur tous les aspects et dans tous les domaines de la vie sociale des Rwandais, y compris même sur le «génocide» aujourd’hui devenu sa «chasse gardée». Le FPR va-t-il vraiment se remettre à ouvrir les espaces d’expression et accepter les négociations? La question reste toujours posée et ouverte ?