Kigali rejette souvent les rapports de Human Rights Watch. Qu’en sera-t-il du dernier rapport en date sur les conditions de détention au centre de Gikondo? Il n’est pas le moins accablant si on écoute les propos de Carina Tersakian, chercheuse à HRW (l’audio à la fin), en plus de ce qui est écrit noir sur blanc après un travail d’enquête publié hier. C’est rapport publié le 23/09/2015.
Kigali, la capitale du Rwanda, se distingue comme l’une des villes les plus propres et ordonnées de l’Afrique. En comparaison avec la période ayant immédiatement suivi le génocide au Rwanda en 1994, Kigali compte aujourd’hui très peu d’enfants de rue et de mendiants. Peu de travailleuses du sexe arpentent les rues de la capitale. Les vendeurs de rue sont toujours à l’affût de la police, et sont prêts à emballer leurs produits à tout moment.
Cette image positive d’une ville étincelante et où l’on peut vivre en sécurité est en grande partie le résultat d’une pratique délibérée de la Police nationale du Rwanda consistant à mener des rafles visant des personnes « indésirables » et à les détenir de façon arbitraire au Centre de transit de Gikondo, un centre de détention non officiel situé dans le quartier résidentiel de Gikondo, dans une banlieue de Kigali. Les personnes y sont exposées à des violations des droits humains, notamment des traitements inhumains et dégradants, avant d’être relâchées dans les rues, souvent avec l’ordre de quitter la capitale.
Il n’y a pas de base légale pour priver la majorité des détenus de Gikondo de leur liberté, ni aucune procédure judiciaire ou de contrôle régulant leur détention.
Ce rapport, basé sur des recherches menées entre 2011 et 2015 à Kigali, décrit les violations des droits humains au Centre de transit de Gikondo, communément appelé Kwa Kabuga. Les enfants des rues, les vendeurs ambulants, les travailleuses du sexe, les personnes sans-abri, des délinquants suspectés de délits mineurs, des personnes soupçonnées d’avoir commis des délits graves, et d’autres personnes considérées comme faisant partie de ces groupes, ont été détenus au Centre de transit de Gikondo.
Selon les recherches effectuées par Human Rights Watch, la majorité des personnes détenues étaient pauvres, sans-abri ou bien des personnes marginalisées ou vulnérables, qui avaient été arrêtées de façon arbitraire par la police.
Les recherches de Human Rights Watch suggèrent que plusieurs milliers de personnes sont susceptibles d’être passées par le centre et d’avoir été soumises à des mauvais traitements au cours des dix dernières années ; Gikondo a été utilisé comme un centre de détention depuis au moins 2005. Ce rapport fait suite à des recherches menées par Human Rights Watch il y a neuf ans, dont les résultats ont été publiés en 2006.
D’anciens détenus à Gikondo ont déclaré à Human Rights Watch que jusqu’à 800 personnes pouvaient être détenues au centre au même moment, dans plusieurs grandes salles. Certains ont décrit jusqu’à 400 personnes détenues dans une seule pièce.
La durée de détention à Gikondo peut varier de quelques jours à plusieurs mois. Human Rights Watch a documenté des cas de personnes qui y ont été détenues jusqu’à neuf mois. En moyenne, les personnes interrogées par Human Rights Watch avaient passé environ 40 jours dans le centre. Dans la totalité des 57 cas documentés par Human Rights Watch, les personnes ont été maintenues en détention à Gikondo sans inculpation et sans respect des procédures officielles, en violation flagrante de la loi rwandaise.
Les mauvais traitements et les passages à tabac de détenus par la police ou par d’autres détenus, agissant sur ordre ou avec l’assentiment de la police, sont monnaie courante au centre de Gikondo. D’anciens détenus ont mentionné des passages à tabac réguliers pour punir des actions aussi anodines que de parler trop fort ou de ne pas respecter la file pour utiliser les toilettes. Quarante et une personnes, parmi celles interrogées par Human Rights Watch, ont déclaré avoir été battues ; sept autres ont indiqué avoir assisté aux passages à tabac d’autres détenus.
Contrairement aux affirmations du gouvernement selon lesquelles l’environnement à Gikondo était propre et convenable, que les détenus recevaient une alimentation adéquate et qu’ils avaient accès à des installations sanitaires et de loisirs, des détenus ont décrit à Human Rights Watch des conditions qui ne peuvent être qualifiées que comme déplorables et dégradantes. Les détenus n’avaient pas accès aux nécessités de base, par exemple un approvisionnement régulier et en quantité raisonnable de nourriture et d’eau propre, et étaient souvent entassés dans des espaces exigus. Les détenus dormaient par terre, souvent sans matelas. Lorsque des matelas étaient fournis, ils étaient partagés par plusieurs détenus et étaient souvent infestés de poux et de puces. De nouveaux matelas ont été distribués à la fin de 2014 et début 2015, mais les détenus ont indiqué à Human Rights Watch qu’ils étaient insuffisants. Les installations sanitaires et l’hygiène sont très médiocres ; en février 2015, les détenus étaient toujours contraints d’utiliser une tranchée ouverte en guise de toilettes.
Bien que qualifié de centre de réhabilitation par le gouvernement, et censé bénéficier de conseillers et de travailleurs de la santé, l’accès à un traitement médical à Gikondo est sporadique, et le soutien à la réhabilitation, tel que nécessaire, est inexistant. Les visites de professionnels de la santé sont irrégulières et souvent le peu de soins médicaux fournis ne répond pas aux besoins des détenus.
D’anciens détenus séropositifs ont indiqué à Human Rights Watch un manque persistant de traitement, même une fois que les responsables du lieu avaient confirmé qu’ils étaient porteurs du virus. Aucunes dispositions particulières ne sont prises pour les besoins de santé et d’hygiène des femmes détenues.
Les visites sont rarement autorisées au centre de Gikondo. Human Rights Watch n’a rencontré qu’une personne ayant eu la possibilité de rendre visite à un parent détenu, et ce seulement après avoir négocié avec des contacts personnels dans la police. Les avocats se rendent rarement à Gikondo, voire jamais, étant donné que la plupart des personnes qui y sont détenues ne peuvent pas se payer d’avocat ou ne savent pas comment obtenir une assistance juridique.
Plusieurs anciens détenus ont affirmé avoir payé des membres de la police pour obtenir leur libération. Ces paiements étaient généralement arrangés par une tierce partie, comme un ami ou un parent.
Jusqu’à la fin de 2014, les enfants représentaient une proportion importante des détenus à Gikondo. Human Rights Watch a rencontré treize anciens détenus âgés de moins de 18 ans, dont beaucoup avaient été détenus à Gikondo à plusieurs reprises. Le Code pénal rwandais définit un enfant comme une personne de moins de 18 ans, ce qui concorde avec la définition en vertu du droit régional et international des droits humains, tels que la Convention internationale des droits de l’enfant et la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, auxquelles le Rwanda est un État partie. Human Rights Watch a également interrogé dix femmes qui avaient été détenues avec leurs nourrissons et une femme qui était enceinte de six mois au cours de sa détention.
Dans une décision positive en août 2014, la mairie de Kigali et la Commission nationale pour les enfants ont annoncé que les enfants ne seraient plus envoyés au centre de Gikondo. Human Rights Watch n’a pas reçu de signalements de nouveaux cas d’enfants détenus à Gikondo depuis lors. Toutefois, des hommes et des femmes adultes continuent d’y être détenus au moment de la rédaction de ce rapport.
Le gouvernement rwandais soutient que le centre de Gikondo n’est pas un centre de détention, mais qu’il existe pour assurer la réhabilitation sous la forme d’une aide d’urgence sociale et agit comme un point de transit vers d’autres centres de réhabilitation. Le gouvernement réfute également les allégations d’abus à Gikondo.
Toutefois, dans une lettre à Human Rights Watch en novembre 2014, reproduite à l’annexe I de ce rapport, le ministre de la Justice a noté qu’il n’y avait « pas actuellement de cadre juridique pour l’administration [du centre] ». La réponse du gouvernement rwandais est décrite plus en détail dans la section III de ce rapport.
Human Rights Watch appelle le gouvernement rwandais à fermer immédiatement le Centre de transit de Gikondo et à libérer tous les détenus, à moins qu’ils ne soient inculpés d’une infraction pénale légitime. Les détenus devant être inculpés devraient être rapidement traduits devant un tribunal et transférés dans un centre de détention reconnu, en conformité avec la loi rwandaise.
Human Rights Watch demande à la Police nationale du Rwanda d’arrêter les rafles de personnes vulnérables et économiquement marginalisées, dont beaucoup aboutissent à Gikondo. La police devrait enquêter sur les cas de détentions illégales, de mauvais traitements et de corruption tels que ceux décrits dans le présent rapport, suspendre les responsables de ces violations et veiller à ce qu’ils soient traduits en justice.
https://www.hrw.org/fr/report/2015/09/23/pourquoi-ne-pas-appeler-cet-endroit-une-prison/detention-illegale-et-mauvais