RSF (Reporters sans frontières, une ONG qui assure la promotion et la défense de la liberté d’informer, et d’être informé partout dans le monde), publie sa liste noire des prédateurs de la liberté de la presse. RSF a établi cette liste le 2 novembre 2016. Il s’agit d’une sombre galerie de portraits : ceux de 35 chefs d’Etat, hommes politiques, chefs religieux, milices et organisations criminelles qui censurent, emprisonnent, torturent ou assassinent les journalistes. Ces prédateurs sévissent pour la plupart depuis des années, voire des décennies. Trois présidents de la “région des grands lacs africains” se distinguent par la mauvaise note sur cette liste:
Paul KAGAME
Président de la République du Rwanda
58 ans
Prédateur depuis 2000
Désigné vice-président du Rwanda en 1994, au lendemain du génocide, Paul Kagamé accède à la fonction suprême en 2000 après la démission du président. En décembre 2015, Paul Kagamé obtient une réforme de la Constitution, il peut désormais briguer un nouveau septennat à la présidentielle de 2017, voire se maintenir au pouvoir jusqu’en 2034.
Technique d’attaque : autoritarisme à tendance totalitaire
Depuis sa prise de pouvoir, Paul Kagamé s’abrite derrière le souvenir du génocide de 1994, à une époque où les médias, tels que Radio Mille Collines, attisaient la haine raciale, justifiant ainsi un contrôle étroit sur les journalistes au Rwanda. Vingt ans plus tard, la censure est toujours omniprésente. Son ministère de l’Information et le Haut Conseil des médias y veillent consciencieusement, utilisant à l’envi le délit « d’offense à la personne du président de la République ».
Début 2011, la journaliste Agnès Uwimana Nkusi et sa consoeur Saidat Mukakibibi ont été condamnées à 17 et sept ans de prison pour avoir osé critiquer le chef de l’Etat. Des soupçons pèsent aussi contre Paul Kagamé au sujet de la mort de Jean-Léonard Rugambage, rédacteur en chef adjoint de l’hebdomadaire Umuvugizi, retrouvé assassiné alors qu’il enquêtait sur les services secrets et leur tentative de meurtre contre un général en exil en Afrique du Sud.
Tableau de chasse : depuis 1996, RSF a recensé 8 journalistes tués ou disparus, 8 journalistes gravement agressés, 11 journalistes condamnés à de lourdes peines de prison et 33 journalistes forcés à l’exil (ce nombre date de 2013, et depuis, plusieurs autres journalistes ont fui le pays. Parmi eux, Fred Muvunyi qui était à la tête de la Commission rwandaise des médias « Rwanda Media Commission, RMC », Alphonse Nsabimana, John Ndabarasa etc.). Actuellement, plus de 40 journalistes rwandais ont fui le pays (NDLR)
Bras armés : les services de renseignement infiltrés dans toute la population.
Cibles favorites : tous les journalistes qui portent une « atteinte grave » au régime, au président ou à la patrie.
Sont concernés ceux qui : questionnent le bilan de développement du pays, parlent de la pauvreté, évoquent des tueries de Hutus par le Front patriotique rwandais (RPF, parti au pouvoir) pendant le génocide de 1994, font des commentaires non laudatifs sur le chef de l’Etat
Discours officiel : l’indifférence feinte
« La liberté d’expression ? La liberté de la presse ? Certains insultent les gens tous les jours ! Ils m’insultent moi tous les jours ! Je n’en ai que faire. Dans des dessins, ils m’appellent Hitler – je les ignore, ça ne m’atteint pas du tout. Je les méprise tous. » (Discours prononcé à l’occasion de la 16e commémoration du génocide, le 8 avril 2010)
Score : Le Rwanda se place au 161e rang sur les 180 que compte le Classement mondial 2016 de la liberté de la presse établi par RSF. Au fil des années, la liberté d’informer ne cesse de régresser dans le pays.
Pierre NKURUNZIZA
Président de la République du Burundi
52 ans
Prédateur depuis 2015
Président depuis 2005, Pierre Nkurunziza a engagé en 2015 une intense
campagne de répression contre les médias, à commencer par ceux qui ont
couvert la tentative de putsch d’opposants qui contestaient sa volonté
de se faire réélire, en violation de la Constitution.
Technique d’attaque : répression multiforme
Depuis 2015, la répression contre les médias a pris toutes les formes : harcèlement judiciaire, emprisonnements
arbitraires, interdictions de diffusion ou de publication, tabassages, tortures, disparitions.
Le 13 mai 2015, au cours de la tentative ratée de putsch de quelques généraux modérés, les radios de
Bujumbura, la capitale, ont fait l’objet d’attaques à l’arme lourde. Depuis cette date, toutes demeurent
fermées « pour enquête ». Elles sont accusées de complicité avec les putschistes pour avoir diffusé leur
message et/ou rapporté les évènements du 13 mai 2015. Les directeurs des cinq principaux médias
indépendants (Radio publique africaine, Bonesha FM, Radio Isanganiro, Radio-télévision Renaissance,
et le journal Iwacu) sont en exil et sous le coup d’un mandat d’arrêt. La plupart des journalistes burundais
faisant l’objet de menaces, d’attaques ou d’intimidations se sont résolus à quitter le pays.
Ceux qui sont
restés sur place ne peuvent quasiment plus travailler. Ils sont boycottés par les sources d’information
officielles et régulièrement ciblés par les forces de l’ordre en raison de leur profession. Certains ont été
physiquement agressés en pleine rue par les forces de l’ordre. Aujourd’hui, la majorité des journalistes
burundais sont exilés au Rwanda où ils n’ont aucun moyen de gagner leur vie.
Tableau de chasse :
- Une centaine de journalistes exilés
- 1 journaliste disparu : Jean Bigirimana, en juillet 2016 (pétition en ligne)
- Interdiction de tous les médias indépendants
- 4 journalistes poursuivis en justice, accusés d’être les « auteurs intellectuels » du putsch. Ils sont
aujourd’hui exilés au Rwanda
Bras armé : le Service national du renseignement, (SNR)
Cibles favorites : tous les médias critiques à l’égard du régime, notamment les radios
Discours officiel : campagne de discrédit
« Le cas du journaliste Jean Bigirimana s’inscrit, j’y crois dur comme fer, dans la perspective de
terroriser à peu de frais et d’attirer de l’ostracisme contre le pouvoir de Bujumbura, dans le but ultime
d’obtenir un changement de régime. » (Willy Nyamitwe, porte-parole du président, sur Facebook, le
5 août 2016)
Score : 156e sur 180 au Classement mondial 2016 de la liberté de la presse, le Burundi est en chute libre. Le pays était encore au 73e rang en 2004.
Joseph KABILA
Président de la République démocratique du Congo
45 ans
Prédateur depuis 2001
Joseph Kabila a succédé à son père, ancien guérillero et tombeur de
Mobutu Sese Seko. Son deuxième mandat non reconductible s’achève
théoriquement le 19 décembre 2016, mais il a réussi à repousser l’élection
présidentielle à une date encore indéterminée. La commission nationale des
élections évoque l’organisation d’un scrutin en décembre 2018,
soit deux ans plus tard que ne le prévoyait le calendrier initial.
Technique d’attaque : terreur par le chaos
Joseph Kabila laisse agir ses soldats, ses policiers et ses services de sécurité pour malmener la presse.
Au mieux, les journalistes travaillent sous les menaces et les violences, au pire, ils sont arrêtés, voire
assassinés. Le meilleur moyen pour le président congolais de contrôler ce système : garantir une totale
impunité aux auteurs des exactions contre la presse. Depuis l’arrivée de Joseph Kabila au pouvoir,
plusieurs journalistes ont été tués. Dans ces affaires, la justice est restée inexistante. Soit les enquêtes
ont été bâclées, sans que les commanditaires n’aient pu être identifiés, soit aucune enquête n’a été
ouverte. Dans l’un des cas, deux individus ont été arrêtés, forcés d’avouer avoir tué un journaliste, puis
condamnés et emprisonnés avant de s’évader mystérieusement. Jamais les commanditaires de ces
assassinats n’ont été inquiétés.
Tableau de chasse : au moins huit journalistes tués par des forces associées à l’Etat (militaires ou
commanditaires politiques).
Bras armés :
- L’Agence nationale des renseignements
- Les forces armées
Cibles favorites : les journalistes indépendants qui s’intéressent d’un peu trop près aux conflits
d’intérêts financiers ou aux collusions entre pouvoir et groupes armés illégaux.
Discours officiel : mensonge éhonté
« Je souhaite affirmer ici la détermination du gouvernement congolais à faire en sorte qu’aucun crime
– que ce soit contre les journalistes ou contre la population à Kinshasa, à l’Est ou sur toute l’étendue
du territoire national – ne reste plus impuni. » (Clôture du Sommet de la Francophonie, Montreux,
octobre 2010)
Score : En régression régulière depuis 2004, la RDC se place au 152e rang sur les 180 que compte le
Classement mondial 2016 de la liberté de la presse établi par RSF.
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La rédaction