17/01/2017, tiré du rapport mondial de HRW 2017
Lors d’un référendum tenu en décembre 2015, les citoyens rwandais ont voté à une très large majorité en faveur d’amendements constitutionnels permettant au Président Paul Kagame de briguer un troisième mandat en 2017 puis deux quinquennats additionnels. Rares sont les voix à l’intérieur du pays qui se sont publiquement opposées à cette décision.
Le référendum s’est déroulé dans un contexte de restrictions sévères à la liberté d’expression. Le gouvernement rwandais continue de limiter la capacité des groupes de la société civile, des médias et des organisations internationales de défense des droits humains à fonctionner librement et en toute indépendance et à critiquer ses politiques ou pratiques.
Les forces armées et la police ont arrêté arbitrairement des personnes et les ont détenues dans des centres de détention non officiels, soumettant certaines d’entre elles à des actes de torture et à des mauvais traitements.
Société civile
La société civile au Rwanda est très faible en raison de nombreuses années d’intimidation et d’ingérence de la part de l’État. Le gouvernement reste hostile à toute critique de son bilan en matière de droits humains et préfère nettement la prestation de services à la fourniture de travaux indépendants de plaidoyer et de communication d’informations dans le domaine des droits humains.
Des lourdeurs dans les procédures d’enregistrement et autres obstacles bureaucratiques ont également empêché les groupes de défense des droits humains d’œuvrer avec efficacité. La Ligue des droits de la personne dans la région des Grands Lacs (LDGL), groupe régional de défense des droits humains, peine à mener ses activités de manière efficace, en partie à cause de difficultés liées à la procédure d’enregistrement officielle. Ce n’est qu’en novembre que l’organisation a obtenu son enregistrement d’organisation non gouvernementale (ONG). En mai, les services de l’immigration ont ordonné à Epimack Kwokwo, ancien secrétaire exécutif de la LDGL et ressortissant congolais, de quitter le pays.
Liberté des médias
Peu de journalistes rwandais remettent en question les discours ou politiques officiels du gouvernement ou enquêtent sur les allégations d’atteintes aux droits humains, en particulier si ces allégations concernent de hauts fonctionnaires. De nombreux journalistes pratiquent l’autocensure. Cependant, quelques débats et émissions interactives diffusés à la radio et à la télévision ont parfois accordé un certain espace à une discussion sur des sujets plus sensibles, tels que les changements constitutionnels, le rôle du journalisme et la détention illégale dans des « centres de transit ».
John Williams Ntwali, l’un des rares journalistes d’investigation rwandais, a été arrêté fin janvier 2016 et accusé de viol sur mineure. Les agents des autorités judiciaires ont ensuite réduit ses charges à « attentat à la pudeur », avant que le dossier ne soit abandonné faute de preuves. Ntwali a été relâché au bout de dix jours. Avant son arrestation, il avait enquêté sur plusieurs questions sensibles, dont les circonstances entourant la mort, en 2015, de l’homme d’affaires de premier plan Assinapol Rwigara.
Le 3 février, la police a confisqué les ordinateurs de deux journalistes de l’hebdomadaire East African, Ivan Mugisha et Moses Gahigi. Ils enquêtaient sur des cas d’évasion fiscale et de corruption alléguées. La police a brièvement détenu et interrogé Mugisha.
Le 8 août, John Ndabarasa, journaliste à Sana Radio, a été porté disparu. La police a affirmé avoir ouvert une enquête mais, au moment de la rédaction de ce chapitre, on ignorait toujours où il se trouvait. Ndabarasa est membre de la famille de Joel Mutabazi, ancien membre de la garde présidentielle condamné à la réclusion à perpétuité en 2014 pour des délits d’ordre sécuritaire.
Les organes des médias rwandais plaident en faveur de la décriminalisation des délits de presse et d’un renforcement de l’autoréglementation dans le contexte d’un examen du code pénal et des lois régissant les médias en cours.
Le service de la BBC en langue kinyarwanda reste suspendu depuis 2014.
Pluralisme politique
Tous les partis représentés au parlement ont été favorables aux amendements constitutionnels et au référendum de 2015. Un seul parti enregistré, le Parti vert démocratique du Rwanda (DGPR), s’est opposé à ces initiatives. Les élections locales de février et mars n’ont suscité qu’une concurrence limitée. L’espace politique reste très restreint à l’approche de l’élection présidentielle de 2017.
Le DGPR et plusieurs partis d’opposition non enregistrés restent confrontés à des défis sérieux, notamment des arrestations et harcèlements de leurs membres, qui les empêchent de fonctionner efficacement. Victoire Ingabire, présidente des FDU-Inkingi, parti qui a été dans l’incapacité de s’enregistrer, et plusieurs autres membres de partis d’opposition se trouvent encore en prison.
Illuminée Iragena, infirmière et membre des FDU-Inkingi, a été portée disparue le 26 mars. Ses proches redoutent qu’elle n’ait été placée en détention et qu’elle n’y soit décédée, même si les autorités n’ont ni confirmé ni nié sa détention, ce qui renforce la crainte qu’elle ait été victime d’une disparition forcée.
Quelques heures à peine avant qu’Illuminée Iragena ne disparaisse, Léonille Gasengayire, également membre des FDU-Inkingi, a été arrêtée après avoir rendu visite à Victoire Ingabire en prison. La police l’a mise en détention pendant trois jours, l’a battue, interrogée et lui a refusé l’accès à un avocat. Elle a déclaré à la police qu’Iragena avait contribué à organiser la livraison d’un livre à Ingabire. La police l’a libérée sans inculpation, mais l’a de nouveau arrêtée le 23 août, l’accusant d’incitation au soulèvement ou aux troubles parmi la population. Elle l’a également accusée de soulever l’opposition locale face aux expropriations de résidents locaux et de promouvoir les FDU-Inkingi. Au moment de la rédaction de ce chapitre, elle était toujours en détention provisoire.
Le 18 septembre, Théophile Ntirutwa, représentant des FDU-Inkingi à Kigali, a été arrêté, apparemment par des militaires, à Nyarutarama, un faubourg de la capitale rwandaise. Il a été détenu, frappé et interrogé sur son adhésion aux FDU-Inkingi. Il a été libéré deux jours plus tard. Ntirutwa s’était plaint à plusieurs reprises auprès des autorités des menaces et du harcèlement de la part de fonctionnaires locaux.
Plusieurs autres membres de partis d’opposition ont aussi été arrêtés et brièvement placés en détention.
Justice
Le 29 février, le gouvernement rwandais a retiré sa déclaration autorisant les individus à porter plainte devant la Cour africaine des droits de l’Homme et des Peuples, au motif que cette déclaration était exploitée par des fugitifs déclarés coupables de participation au génocide. La Cour devait siéger pour entendre une plainte contre le Rwanda déposée par Victoire Ingabire. Le 5 septembre, la Cour a statué que le retrait ne prendrait effet qu’au bout d’un an et qu’il n’aurait pas d’impact sur les affaires déjà en cours.
Le 31 mars, un tribunal militaire a condamné le colonel Tom Byabagamba, ancien chef de la garde présidentielle, et le brigadier-général à la retraite Frank Rusagara, ancien secrétaire général du ministère de la Défense, à 21 et 20 ans de prison respectivement, notamment pour avoir incité à l’insurrection et terni l’image du gouvernement. Ils étaient accusés d’avoir critiqué le gouvernement, d’avoir prétendu que l’État était impliqué dans des assassinats d’opposants et de s’être plaints de la politique étrangère et économique du Rwanda. Un témoin à charge a déclaré qu’on l’avait forcé à témoigner contre Rusagara et Byabagamba. Le co-accusé François Kabayiza, sergent à la retraite, a été condamné à cinq ans de prison et a déclaré au tribunal qu’il avait été torturé par des militaires pendant sa détention.
Détentions arbitraires et mauvais traitements
Comme lors des années précédentes, les autorités ont arrêté des vendeurs ambulants, des travailleuses du sexe, des enfants des rues et d’autres personnes pauvres et les ont détenus dans des « centres de transit » à travers le pays. Les conditions dans ces centres sont rudes et inhumaines, et les passages à tabac y sont fréquents. Les autorités ont apporté quelques changements dans le centre de Gikondo, à Kigali, qui ont entraîné certains progrès en termes d’installations et d’infrastructures, mais dans l’ensemble, les conditions ne se sont guère améliorées. Des conditions tout aussi dégradantes sévissent dans les centres de transit de Muhanga (district de Muhanga), de Mbazi (district de Huye) et de Mudende (district de Rubavu).
Trois agents de sécurité ont été condamnés à dix ans de prison pour avoir tué une vendeuse ambulante à la gare routière de Nyabugogo, à Kigali, en mai. Le gouvernement a ouvert plusieurs marchés spécifiquement pour les anciens vendeurs ambulants, précisant qu’il imposerait des amendes aux marchands et à leur clientèle s’ils opéraient en dehors de ces lieux.
Des agents de police, des services de renseignements et de l’armée ont également détenu des personnes et leur ont fait subir des mauvais traitements dans d’autres centres de détention non officiels, notamment dans un centre de détention de la police à Kigali surnommé « Chez Gacinya » et dans des sites de détention militaires.
Justice pour le génocide
En décembre 2015, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a fermé ses portes après avoir rendu son dernier jugement dans l’affaire contre l’ancienne ministre Pauline Nyiramasuhuko et cinq co-accusés. L’ancien bourgmestre Ladislas Ntaganzwa, inculpé par le TPIR, a été arrêté en décembre 2015 en République démocratique du Congo et extradé vers le Rwanda, où son procès a commencé en avril.
Jean-Bosco Uwinkindi, un pasteur, et Léon Mugesera, un universitaire et ancien agent du gouvernement, ont été condamnés à la réclusion à perpétuité, en décembre 2015 et avril 2016 respectivement, pour génocide et crimes contre l’humanité. Le dossier d’Uwinkindi était le premier à être déféré au Rwanda par le TPIR.
En juillet, un tribunal français a déclaré Octavien Ngenzi et Tito Barahira, tous deux anciens bourgmestres, coupables de génocide et de crimes contre l’humanité, et les a condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité. Ce n’était que la seconde fois que des personnes suspectées de génocide étaient condamnées en France, proche allié du gouvernement rwandais avant et pendant le génocide. En décembre 2015, un tribunal allemand a condamné un autre ancien bourgmestre, Onesphore Rwabukombe, à la réclusion à perpétuité pour le rôle qu’il avait joué dans le génocide, et, en mai, une cour suédoise a également condamné Claver Berinkindi à la prison à vie.
En décembre 2015, un tribunal londonien a refusé une demande d’extradition relative à cinq hommes suspectés de génocide (Vincent Brown ou Bajinya, Charles Munyaneza, Célestin Mutabaruka, Emmanuel Nteziryayo et Célestin Ugirashebuja). Aux Pays-Bas, en juillet, une cour d’appel a annulé une précédente décision et autorisé l’extradition de Jean-Claude Iyamuremye et Jean-Baptiste Mugimba vers le Rwanda, qui a eu lieu le 12 novembre. Léopold Munyakazi, un professeur, a été extradé vers le Rwanda depuis les États-Unis en septembre, et Jean-Claude Seyoboka, ancien agent militaire, a été transféré au Rwanda depuis le Canada en novembre.
Principaux acteurs internationaux
Les États-Unis et l’Union européenne se sont déclarés préoccupés par le manque de temps et d’espace consacrés au débat sur les propositions d’amendements à la constitution et la tenue du référendum. Après que le Président Kagame avait annoncé sa décision de briguer un nouveau mandat lors de l’élection de 2017, les États-Unis ont fait part de leur « profonde déception » et demandé au gouvernement rwandais de garantir et respecter les droits des citoyens à exercer leur liberté d’expression, de conscience et de réunion pacifique.
En mars, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a adopté les conclusions de l’Examen périodique universel (EPU) du Rwanda. Le Rwanda a accepté les recommandations visant à garantir les libertés d’opinion et d’expression et a promis de renforcer sa politique vis-à-vis des défenseurs des droits humains. En juin, les autorités rwandaises ont présenté une feuille de route sur la mise en œuvre des recommandations à l’attention de la société civile et des bailleurs de fonds.
En mars également, le Comité des droits de l’homme a passé en revue les droits civils et politiques au Rwanda et a fait part de préoccupations quant aux actes de torture commis dans des centres de détention non officiels, à l’ingérence du gouvernement dans le système judiciaire et aux disparitions forcées.
En octobre, le Parlement européen a adopté une résolution sur le Rwanda, en mettant l’accent sur le dossier de Victoire Ingabire. Une délégation du Parlement européen qui s’est rendue au Rwanda en septembre 2016 s’est vu refuser l’accès à Ingabire.