05/12/2021, par Tharcisse Semana
D’un cœur meurtri, en deuil éternel et dans l’impasse sans fin, le peuple rwandais est plongé dans l’incertitude. Aujourd’hui il pleure leur icône, du nom de Niyonsenga Dieudonné, alias Cyuma Hassan, jeté encore une fois derrière les barreaux, par le régime dictatorial de Paul Kagame. Journaliste chevronné, ce jeune homme – très écouté et suivi à Kigali, au fond des collines du Rwanda et sur la toile – voulait incarner le mode de la presse libre et indépendante dans un pays où la liberté de la presse est loin d’être respectée. Déterminé à donner sa voix aux «sans-voix», Niyonsenga Dieudonné est aussi l’un des rares journalistes rwandais qui ne mâchent pas ses mots, ce qui lui a valu les conséquences fâcheuses.
Condamnation injuste et indigne
Croupi à l’heure actuelle en prison centrale de Mageragere à Kigali et condamné injustement à sept ans de prison, cette «voix des ‘‘sans-voix’’» demande toujours aux autorités concernées que justice soit faite. Son avocat de la défense avait interjeté appel, mais en vain.
«Nous sommes déterminés à nous sacrifier pour donner une voix au peuple», tels sont les propres mots de Cyuma Hassan, pour décrire au peuple rwandais le leitmotiv de son engagement journalistique. Une déclinaison de sa propre mission et celle de son média, ‘‘ISHEMA TV-Imboni ya Rubanda’’. Une confession solennelle ou mieux encore le crédo universel des vrais journalistes dignes de ce nom. Une ligne éditoriale aussi qu’il s’est donnée lui-même et a assignée – en majuscule – à sa chaîne YouTube ‘‘ISHEMA TV’’, qui veut dire littéralement «fier d’être soi-même». En effet, avec le complément de titre ‘‘Imboni ya Rubanda’’ – très riche et significatif en sciences sociales et politiques – il explicite davantage : Nous sommes l’«Œil du Peuple». Une déclaration d’engagement et une mission qu’il se fixe.
Cette mission se veut, en effet, une tâche très difficile dans une société, comme le Rwanda, où la liberté d’expression et le droit d’opinion est un «crime de lèse-majesté».
Une mission très délicate mais courageusement assumée. Une mission bien remplie loyalement et professionnellement, malgré tout. Une mission journalistique mais avant tout un engagement citoyen qui nous fit découvrir l’autre Rwanda : celui de la pauvreté, celui des gens marginalisés ou laissés pour compte mais aussi des voix indépendantes des personnalités politiques critiques du régime. Bref, la vraie réalité – sociopolitique et économique – que vivent quotidiennement les Rwandais. Un autre Rwanda donc très différent de celui présenté par le Front patriotique rwandais [régime militaire] au pouvoir, depuis 1994.
Une renaissance de la liberté de la presse qui s’éteint…
Bien que connu en tant que l’un des rares journalistes courageux, professionnel et civiquement engagé, Niyonsenga Dieudonné n’est pas le seul à être poursuivi ou condamné injustement par le régime de Kigali.
Après la fermeture de l’hebdomadaire Umuseso et l’exil forcé de ses journalistes (une dizaine), la fusillade en plein jour du journaliste Jean-Léonard Rugambage à son domicile à Kigali et de Charles Ingabire à Kampala, ou encore la mise en prison des journalistes Agnès Uwimana Nkusi et Saidat Mukakibibi (aujourd’hui en liberté car elles ont purgé leurs peines), le peuple rwandais, assoiffé de la liberté de la presse, ne pensait pas entendre encore une fois l’arrestation ou condamnation d’un autre journaliste engagé en faveur des «sans-voix».
Liberté d’information, un droit citoyen et universel!
Certes, la liberté d’information est un droit citoyen et universel comme le stipule la ‘‘Déclaration universelle des droits de l’homme’’. Une charte ou convention internationale ratifié par le Rwanda. Un petit détail qui vaut la peine d’être rappelé. Une charte, en effet, qui n’est pas suivie ni mise en applicable au Rwanda. Un rêve toujours songeur !
La liberté d’information est un droit citoyen! Mais ”N’attendez pas qu’on vous prive de l’information pour la défendre”. Tel est le mot d’ordre de notre association ”Union des journalistes rwandais en exil (UJRE)” que tout le monde devrait faire le sien.
C’est grâce aux reportages mémorables et épiques de Cyuma Hassan Dieudonné que le monde entier ait découvert l’autre image du Rwanda, souvent occultée par le régime du FPR en place et ses alliés étrangers.
Ses reportages auprès des différentes catégories de personnes – jeunes gens et adultes désœuvrés, familles et personnes défavorisées ou encore des personnalités politiques privées de micros des médias d’État – témoignent à visage découvert au monde entier l’autre image du Rwanda: Les souffrances inédites des sans-abris, les bavures et agression : des militaires qui agressent et tuent les gens ou violent les femmes. Les veuves qui se battent, elles seules, pour sauver leurs biens. Mais encore, les orphelines qui – eux seuls aussi – se battent, comme ils le peuvent, pour défendre les propriétés foncières ou d’autres biens familiaux laissés par leurs parents.
Professionnalisme et héroïsme au service de la citoyenneté…
Tel est l’écho retentissant que laisse Cyuma Hassan Dieudonné, avec ses reportages poignants. Illustrations : interviews des veuves qui se battent, elles seules, pour sauver leurs biens. Mais encore, les orphelines qui – eux seuls aussi – se battent, comme ils le peuvent, pour défendre les propriétés foncières ou d’autres biens laissés par leurs parents. Plus vibrant encore, les travailleurs journaliers frappés par la crise. Bref, toutes les catégories trouvent un écho dans les reportages de Cyuma Hassan Dieudonné.
Pour les organismes de défense des droits de l’homme et toutes les associations professionnelles des médias – journalistes et défenseurs du droit de l’information que nous sommes – l’emprisonnement de Cyuma Hassan Dieudonné est non seulement injuste et inacceptable mais aussi indigne d’un État qui se vente à tout moment d’être plus démocratique.
Pour nous – Union des journalistes rwandais en exil (UJRE) – le jeudi 11 novembre 2021, date de la condamnation injuste de Cyuma Hassan Dieudonné et d’envahissement policier à son domicile, sonne comme une double «alarme-incendie» de notre maison.
Les quatre chefs d’accusation à charge pour lesquels il a été condamné à sept ans de prison par la Cour d’appel de Kigali : «falsification de documents», « exercice illégal de la profession de journaliste», «entrave à des travaux publics» ainsi que «l’humiliation d’officiels de l’État», ne sont qu’un alibi pour tout simplement lui faire taire. C’est plutôt une voix de plus des «voix des sans-voix» éteinte par le régime du FPR. C’est aussi un signal fort donné à toute personne qui oserait prendre le relais et relayer la voix du «bas-peuple». Les indignations et revendications de cette masse populaire pauvre – souvent négligée et ignorée par les tenants du pouvoir – perdent encore la tonalité dans le concert symphonique de la fameuse «démocratie» à l’occidentale.
Il faut rappeler et préciser que le porteur de cette vibrante tonalité avait été déjà arrêté pour la première fois le 15 avril 2020 pour, soi-disant, le «non-respect des directives de confinement liées au COVID-19».
C’est dans ce contexte bien précis que Cyuma Hassan Dieudonné a été arrêté pour la première fois et mis en prison par les autorités policières et non judiciaires [je précise bien ici]. Celles-ci lui signifiaient qu’il était poursuivi pour trois charges, à savoir notamment «falsification de documents», « exercice illégal de la profession de journaliste» et « entrave à des travaux publics.»
Une année plus tard, le 11 mars 2021, il a finalement été acquitté de toutes les charges par le juge de première instance. Celui-ci ayant estimé qu’il n’avait aucune accusation fondée contre lui, d’où, en effet, sa libération immédiate. Une décision qui ne réjouira cependant guère les acolytes du régime. Car, pour preuve, les «caisses de résonance» du système les plus écoutées vont vite envahir la toile et proférer des menaces et injures contre le journaliste avant que le juge n’ordonne sa libération. Pire encore, par la suite, ces mêmes «caisses de résonance» du système militaro-fasciste vont mettre sous pression le ministère public et le pousser à interjeter appel de cette décision. Un acharnement des médias pro-régime va immédiatement appuyer cet appel judiciaire et accélérer le cours des choses…
Le 11 novembre 2021, près de 9 mois après son acquittement, Cyuma Hassan Dieudonné est reconnu coupable de toutes les charges pour lesquelles il avait été acquittées. Incompréhension et stupéfaction, non seulement pour lui, mais aussi pour le «bas-peuple» qu’il défend et dont il porte l’étendard de sa révolte.
En effet, ce qui est plus incompréhensible c’est que, sur les trois accusations qui font objet d’appel, il s’est ajoutée une nouvelle accusation : celle d’«humiliation des officiels de l’État», une charge d’accusation qui n’est pourtant plus dans le code pénal rwandais, depuis déjà 2019.
Malgré que, mardi 16 novembre, le parquet ait reconnu et annoncé sur son compte twitter que la charge d’«humiliation d’officiels de l’État» n’existe plus dans les livres du code pénal rwandais, Cyuma Hassan Dieudonné reste toujours croupi dans la geôle du régime en place de Kigali.
Voilà le déroulement des faits et le contexte exact dans lequel la Cour d’appel a condamné injustement Cyuma Hassan Dieudonné à 7 ans de prison ferme.
Il faut encore rappeler que quelques semaines avant sa première arrestation, Cyuma Hassan Dieudonné avait publié plusieurs reportages-vidéos sur sa chaîne, mettant en cause le comportement de certains militaires de l’armée rwandaise. Il s’agissait, en effet, des reportages-vidéos sur les quartiers défavorisés, dont notamment des interviews des femmes du bidonville dénommé Nyarutarama, connu sous le nom de «Bannyahe», accusant ouvertement ces militaires de viols et de pillages.
Au premier temps, les autorités rwandaises ont formellement contesté les faits. Marie-Goretti Umutesi, porte-parole de la police de la ville de Kigali, avait qualifié de «purs mensonges» ces reportages, jusqu’à appeler même aux autorités concernées à « traquer » ceux qui propagent ce qu’elle appelle des ‘‘rumeurs’’, dont bien attendu le journaliste Cyuma Hassan Dieudonné. Curieusement, l’armée rwandaise a fini par reconnaître ces faits avant de les attribuer à «quelques militaires indisciplinés». La même armée avait ensuite promis un procès public des militaires concernés, mais jusqu’à preuve du contraire, aucun procès n’a eu lieu et le comble de malheur, les militaires impliqués dans ces crimes de viol ont été relâchés.
A analyser le régime du FPR et le climat politique qui règne aujourd’hui au Rwanda, force est de constater que depuis son ascension au pouvoir, l’état des droits de l’homme et de la liberté d’expression en particulier, constituent, en effet, un précédent majeur : un «crime de lèse-majesté» non poursuivi immédiatement – mais qui reste quand-même bien noté quelque part.
Tel est le fonctionnement du régime en place au Rwanda. Un régime militaro-fasciste qui cherche, à tout prix, à récupérer et faire taire les icônes de la «voix ‘‘des sans-voix’’», faute de quoi, les éliminer ou les jeter dans ses prisons-mouroirs.
Au nom de L’Association des Journalistes Rwandais en Exil, non seulement nous sommes préoccupé de l’état d’arrestation et de condamnation injuste de notre confrère Cyuma Hassan Dieudonné, mais également nous sommes inquiets de la torture [psychologique, morale et physique] qui se fait actuellement contre lui, en prison centrale de Mageragere.
Pour plus de précision, les autorités pénitentiaires ont privé à notre confrère ses droits de base tels qu’avoir accès à des objets de couchage, des vêtements, droits de base qu’ont d’autres geôliers dans différentes prisons du Rwanda. De même, d’après les informations de source sûre, les services de renseignement, en collaboration avec le ministère public, demandent sans cesse à Cyuma Hassan d’effacer toutes ses émissions publiées sur sa chaine YouTube, ce que le journaliste a catégoriquement refusé. On lui demande également de renoncer à son militantisme pour la liberté de la presse et de son engagement manifeste auprès des «sans-voix».
«ISHEMA TV, IMBONI YA RUBANDA»: quel avenir?
Cette chaine YouTube a réalisé pas mal de reportages liés entre autres à la destruction des maisons des quartiers dits ‘‘pauvres’’ de la capitale Kigali.
Le journaliste Cyuma Hassan a aussi ouvert le focus de sa caméra et l’a projeté largement sur ces quartiers les plus démunis de la ville de Kigali.
Il a ensuite donné la parole aux habitants délogés et expulsés «manu militari» de leur domicile, sans la moindre indemnisation. Pour plus de détail à ce sujet, lisez notre article intitulé: «Capitalisme sauvage»: un choix politique et délibéré du Gouvernement rwandais ? ou celui-ci encore : Rwanda. «Génocide contre les Tutsi»: L’impasse du mensonge !
Coup d’œil aux blessures de Kizito Mihigo : porte-malheur ?
Plus d’un affirment que l’arrestation et la condamnation de Cyuma Hassan sont dues aux coups et blessures que le journaliste a vu sur le corps sans vie du chanteur rwandais Kizito Mihigo, lors de ses funérailles, le 22 février 2020. Cyuma Hassan n’était pas le seul à avoir jeté son coup d’œil à ces coups et blessures, car un autre témoin a confirmé les mêmes faits sur les micros du jeune journaliste, au moment où le porte-parole de la police affirmait, quant à lui, que le chanteur s’était suicidé dans sa cellule du cachot de la police. La version du témoin, loin d’être la même que celle donnée par les services de la police, a mis à mal les autorités en place de Kigali qui, jusqu’à preuve du contraire, n’ont pas voulu qu’il y ait une enquête indépendante sur la mort inopinée du célèbre chanteur, Kizito Mihigo.
Pour un grand nombre d’observateurs locaux qu’étrangers, le nom de Cyuma Hassan Dieudonné reste gravé dans leur mémoire. Ceux qui ont suivi de plus près ses reportages n’oublient jamais «ISHEMA TV» et son superbe surnom «IMBONI YA RUBANDA», la «voix des ‘‘Sans-voix’’», une voix des plus démunis. Une voix aussi d’un journalisme citoyen et engagé qui défend et promeut les valeurs humaines et sociales comme celles de la disponibilité, de l’écoute attentive de l’autre, de l’entraide ou encore celle de «la solidarité traditionnelle», celle de secourir celui ou celle qui est agressé ou brutalisé par les militaires, les policiers ou autres agents de sécurité.
Dans un monde où le «capitalisme sauvage» obnubile davantage la conscience collective et émousse sans aucune réserve toutes les valeurs traditionnelles humaines et sociales, plus spécifiquement dans la société rwandaise où l’indifférence est devenue aujourd’hui une seconde nature des Rwandais, Cyuma Hassan Dieudonné s’est montré non seulement un journaliste professionnel, mais aussi et surtout un journaliste citoyen, digne de ce nom.
Journaliste de talent et exceptionnel, Cyuma Hassan a conquis les cœurs des Rwandais. Il a transmis aux jeunes générations le référentiel de ses valeurs, surtout de rigueur pour le traitement d’information des sujets sensibles et d’enquêtes journalistiques. Raison pour laquelle le monde journalistique rwandais et le «bas-peuple» du Rwanda le pleurent mais ne se laissant pas totalement abattre. Ils se mobilisent contre vent et marées pour chanter son courage et son professionnalisme.
Quant au monde entier, ce dernier reconnaît en lui l’apôtre des «sans-voix» et l’immortalise en “Icône de la liberté de la presse, au droit d’expression et d’opinion”.