23/02/2022, Propos recueillis par Tharcisse Semana.
L’avocat criminaliste et international, Me John Philpot, s’exprime au sujet du «génocide» au Rwanda et du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) : le «génocide» au Rwanda est une guerre de l’Occident contre le Rwanda par procuration. Et le TPIR qui émane de ce «génocide» n’est pas un tribunal, dit-il, mais un instrument politique de l’Occident. Un vrai «cache-sexe» du Front patriotique rwandais (FPR) aujourd’hui au pouvoir à Kigali.
Interview exclusive.
Umunyamakuru: Bonjour Me John Philpot.
Me John Philpot : Bonjour Monsieur Tharcisse!
Umunyamakuru: Comment allez-vous ?
Me John Philpot : Je vais très bien! On est content d’avoir gagné pour les huit hommes qu’on voulait expulser du Niger vers le Rwanda. Cela étant, notre victoire pour ces hommes au Niamey n’est pas complète. Car nous ne savons pas encore si la Tanzanie va les reprendre comme le mécanisme le souhaite.
Umunyamakuru: c’est un grand plaisir pour nous aussi – responsables du journal ‘‘umunyamakuru.com’’ et l’association ‘‘Union des journalistes rwandais en exil (UJRE)’’ – de partager avec vous cette victoire, si partielle ou petite, soit-elle !
Me John Philpot : C’est un plaisir moi aussi de faire connaissance avec vous et avec votre journal et votre association.
Umunyamakuru: Me, pour commencer je voudrais que vous confirmiez et infirmiez les informations vous concernant que je dispose : D’après mes informations, vous êtes un avocat criminaliste, membre du Barreau du Québec depuis décembre 1984. Vous pratiquez le droit pénal à Montréal depuis 1984 et le droit pénal international depuis 1998. Est-ce bien juste ?
Me John Philpot : C’est bien exact.
Umunyamakuru: Pourriez-vous nous décrire, Me, comment et quel a été le leitmotiv de votre vocation d’avocat et d’engagement dans ces domaines précités : criminologie et droit pénal international ?
Me John Philpot : Bon… c’est assez banal ! J’étais au départ syndicaliste enseignant. J’enseignais les mathématiques dans les différents niveaux de classes et au Collège… Après j’ai décidé d’étudier le droit car je le trouvais intéressant. J’ai ensuite commencé à le pratiquer dans tous les domaines : Immigration, criminel, procédure etc. À l’époque il n’y avait pas de limite, on pouvait faire tout sans pour autant être spécialisé dans tel ou tel domaine. Et en dehors de ça, je suis progressiste [donc membre d’une organisation internationale] qui lutte pour la justice sociale et le respect des droits humains. J’étais secrétaire générale. Notre association était basée en Amérique mais avec des ramifications un peu partout : en Argentine, Brésil, Canada, etc. Le droit international et de la souveraineté m’intéressait beaucoup. Nous avons étudié le cas du Rwanda en 1993. Mais moi personnellement je n’avais pas totalement bien compris. C’est à partir des années 1994 et 1995 que je m’y suis beaucoup intéressé et intensément plongé. C’est durant ces années qu’on commençait à comprendre que ce qui se passait au Rwanda est à vrai dire une guerre de l’Occident contre le Rwanda sous l’égide du FPR. Pour nous, nous n’avions aucune ambigüité. Car le FPR était clairement soutenu par l’Occident. C’était donc nettement, pour nous, «une guerre par procuration» via l’Ouganda. C’est une guerre semblable à celle qui se passe actuellement au Sahel, au Soudan ou en Syrie.
Umunyamakuru: Me, d’où vous viennent sincèrement ces sensibilités de s’intéresser à l’histoire et aux droits des peuples ?
Me John Philpot : La famille politique et anti-impérialiste à laquelle je m’identifie [Ndlr : parti progressiste] m’a permis de nourrir et mûrir en moi ce qu’est les droits des peuples. On a étudié ça et compris que les mouvements de l’homme ont resté sans vie, type d’interventionnisme [Ndlr : doctrine préconisant l’intervention militaire d’un état dans un autre pays ou dans un conflit opposant plusieurs autres pays]. Et c’est ça qui s’est fait au Rwanda et ailleurs.
Cela étant, mon histoire n’est pas importante que l’histoire des peuples. Concernant le Rwanda, j’avais un ami – dont je préfère garder l’anonymat – qui m’avait bien informé de la situation. Il marchait beaucoup avec l’intervention des droits de l’homme au Rwanda en 1993. Il me partageait souvent ses observations et son analyse sur la situation du Rwanda. Il déplorait des rapports qui attaquaient le président Habyarimana de façon malhonnête et mensongère. Et alors, en 1994, on a bien compris quand on a formé le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR).
Pour mieux comprendre tout ça (mon intérêt et engagement pour la défense des droits des peuples) et ce qui s’est réellement passé, je donne un exemple concret : Pour l’Irak, il y avait une campagne internationale contre la guerre en Irak, menée par un avocat américain qui vient malheureusement de décéder, il y a quelques mois. J’étais moi aussi à son côté, actif, engagé et très impliqué à fond dans cette campagne. On a demandé qu’il y ait un tribunal ad hoc pour juger les crimes de guerre américains en Irak. J’étais juge dans ce tribunal. Et à ce titre j’ai étudié beaucoup les jugements du tribunal de Nuremberg.
Et pour revenir à notre sujet, le cas du Rwanda, la guerre n’était pas une guerre civile ou ethnique comme certains voudraient le laisser faire entendre mais plutôt une guerre d’agression. Car si on se base sur les critères des Nations-Unies, on voit les choses différemment : La souveraineté du Rwanda était violée par l’armée l’ougandaise fortement peuplée par des exilés tutsi. On connaît bien que ce sont ces tutsi de l’armée ougandaise – regroupés au sein du Front patriotique rwandais (FPR) – qui ont constamment agressé le Rwanda jusqu’à la prise du pouvoir, avec tout ce qu’on connaît comme parodie des cessez-le feu et des négociations de paix à Mulindi ou Arusha. On connaît l’histoire d’implication de certains pays comme le Canada, les États-Unis, la Belgique, la France, etc. qui n’ont même pas aujourd’hui aucune intention de réclamer ou encourager une enquête sur l’assassinat des deux présidents Hutu en exercices : Juvénal Habyarimana du Rwanda et Cyprien Ntaryamira du Burundi.
L’histoire retiendra que tous ces pays se sont mêlés dans les pires horreurs qu’a connues le Rwanda en 1994 et perdurent encore aujourd’hui. À vrai dire ce n’était pas un génocide planifié. Tout le monde le sait : tout le monde sait que Habyarimana n’a pas planifié un génocide, que les choses sont simplement tombé hors contrôle ; que le pays était fragilisé et divisé ; que le FPR avait infiltré tout l’appareil gouvernemental et les partis politiques, que la population hutu était démonisé et qu’il y avait des résistants à cette agression militaire du FPR, etc. Il y a eu donc probablement des exactions, de part ou d’autre. Mais il n’y a pas eu de planification. Je suis vraiment effaré d’entendre les gens dire aujourd’hui que Habyarimana avait planifié un génocide. Certains avancent même les chiffres farfelus de huit cents mille (800.000), un million (1.000.000) ou encore un million et demi (15.000.000) mais en réalité personne ne le sait maintenant. Les cranes des têtes qu’on montre à Kigali on ne sait pas s’ils sont exactement et exclusivement les crânes des tutsi. Et d’ailleurs quand les gens meurent comme ça dans de pareilles atrocités, il est très difficile de distinguer les cranes des tutsi des Hutu. Quand les gens sont morts, ils sont morts et ils méritent tout simplement le respect et ce n’est pas en exposant leurs cranes qu’on les rende la dignité. Et cela n’aide à rien les gens à se reconstruire. Car en voyant constamment ces crânes ils auront toujours le cœur hantés ou longé par le mal.
Umunyamakuru: Me, vous touchez le point sensible sur lequel j’ai enquêté et documenté. Dans non article intitulé Rwanda. «Génocide» : Les chiffres qui fâchent… (ouvre ce lien pour en prendre connaissance), paru dans l’édition du 9 mai 2020, je montre effectivement que les chiffres avancés aujourd’hui sont bidons. Le chiffre de 800.000 victimes – «sacro-sainte» approximation – gonflé constamment par le FPR et ses fervents acolytes de la Communauté internationale, émanent du chef de délégation du CICR au Rwanda, Monsieur Philippe Gaillard.
Me John Philpot : Je dois vous dire tout d’abord que je ne suis pas expert sur cette question. Je sais qu’il y a eu beaucoup de débat sur ce sujet et qu’on parle de différents chiffres de tutsi massacrés.
Umunyamakuru: Le chiffre de 800.000 victimes tutsi avancé par le chef de la délégation du CICR au Rwanda, Monsieur Philippe Gaillard, a été retenu et aujourd’hui il est souvent repris et répété par les médias occidentaux comme un Évangile. Qu’en pensez-vous ?
Me John Philpot : Certes, il y a eu beaucoup des Tutsi tués. Mais c’est un peu étranger que ces 800.000 soient exclusivement des Tutsi. Je ne veux pas minimiser ni non plus sous-estimer le nombre des Tutsi tués. Car ce n’est pas sérieux. Mais non plus je ne peux pas oublier ou ignorer qu’il y a eu aussi beaucoup des Hutu tués dans ces massacres. Fort probablement aussi des Twa qu’on ne parle pas et qu’on cite moins dans le clivage politico-ethnique rwandais, Hutu-Tutsi.
Moi, la question que je me pose et pose aux personnes que je rencontre intéressées de la tragédie du Rwanda est celle-ci : Pourquoi on n’ose pas, pendant ces 30 ans, avancer les chiffres pour ces autres communautés comme on le fait pour les tutsi ? Cela est pour moi inacceptable et un gros problème de franchise et d’équité. Et cela n’aide pas les Rwandais, en particulier les deux communautés historiquement rivales de pouvoir (Hutu et Tutsi) à se réconcilier. Vous, vous êtes Rwandais, et vous le savez mieux que moi. Honnêtement, on ne sait pas combien des Tutsi, des Hutu ou des Twa qui ont été tués. Ces chiffres de 800.000 victimes des tutsi…!! C’est du farfelus et je n’y crois pas sincèrement. Je ne crois pas non plus à des chiffres que le FPR nous présente.
Umunyamakuru: Vous avez bien raison. La majorité des Rwandais n’y croient pas. Car il n’y a pas eu d’enquêtes sérieuses et indépendantes y relatives. Et il n’y a pas eu et n’y a pratiquement aucune volonté politique aujourd’hui de faire un recensement de toutes les victimes.
Me John Philpot : C’est effectivement ce manque de volonté politique, tant nationale qu’internationale, que je ne comprends pas et déplore amèrement.
Umunyamakuru: Dans le cadre du droit pénal international, vous avez exercé votre profession d’avocat auprès du TPIR, sis à Arusha, en Tanzanie. Comment y avez-vous atterri ?
Me John Philpot : J’explique : j’ai rédigé un article presque académique, en français et en anglais, sur le TPIR. Cet article a été traduit en espagnole et, par la suite, j’ai été contacté par certaines personnes des milieux alertés.
À l’époque j’avais l’intention d’aller plaider là-bas [Ndlr : auprès du TPIR, sis à Arusha] et connaissais beaucoup de monde au Québec. J’ai intéressé certains pour devenir avocats là-bas. Par la suite, deux ou trois y sont allés. Et dans ce cadre-là, en janvier 1997, Monsieur Michel Marchand devait aller représenter Monsieur Jean-Paul Akayesu au TPIR à Arusha.
Curieusement, le procureur lui a refusé d’entrer dans la salle d’audience, prétendant qu’il n’a aucun mandat. Car le greffier ne l’a pas nommé comme avocat. L’argumentaire était celui de dire qu’il n’appartient pas aux accusés de se choisir un avocat de leur convenance, ce qui se traduit, en terme judiciaire, que le procureur et le greffier voulaient avoir des avocats complaisants. Cela était une violation grave et flagrante des droits des accusés.
Avant, Akayesu avait des avocats africains qui n’avaient pratiquement rien préparé. Et ce n’est pas que c’est parce qu’ils sont africains qu’ils ne sont pas bons mais c’est parce qu’ils étaient proches du greffier. Et cela n’est pas professionnellement correct.
Car notre travail d’avocat est extrêmement exigeant, tant sur le plan professionnel que sur le plan intellectuel: prendre le recul ou être distant vis-à-vis du procureur et du greffier, faire des enquêtes très rigoureuses, des documentations bien fouillées, des vérifications, des recherches des témoins, etc.
On a condamné Akayesu pour viole des femmes et incitation des Interahamwe de Taba à tuer les tutsi. Akayesu, un homme très doux et innocent a été injustement condamné par le tribunal. Ce tribunal occidental l’a condamné par ce qu’il est noir et de plus un hutu. Un homme, aux yeux du tribunal, qui viole des femmes en outrance. Un mensonger notoire. Parallèlement, une jeune avocate québécoise très active et combattive défendait Georges Rutaganda. Malgré son excellent travail, celui-ci a été, lui aussi, condamné. Dans l’entre-temps la famille Bagosora, à travers un avocat indépendantiste martiniquais, m’a contacté et j’ai accepté de défendre Monsieur Bagosora (décédé dernièrement) [Ndlr : mais à titre d’avocat pro bono : Diminutif de l’expression latine « pro bono publico » qui signifie « pour le bien public», autrement dit un avocat qui met gratuitement ou bénévolement ses compétences professionnelles au service de l’intérêt général].
Cet avocat martiniquais – de caractère très réservé mais excellent – m’a ainsi passé le relais [Ndlr : mais à titre d’avocat pro bono]. Et pour revenir un peu en arrière, lorsque le procureur refusait à Monsieur Akayesu de se choir un avocat, il a fait une grève de faim. Tous les détenus se sont solidarisés avec lui. C’est ainsi que nous avons pu faire convaincre le tribunal qu’il enfreint la loi et le droit international vis-à-vis des droits des accusés et faire entendre leurs doléances. C’est dans ce contexte que la famille de Monsieur Akayesu m’a contacté pour le défendre. Et comme je l’ai dit, Monsieur Akayesu a été le premier hutu gratuitement sacrifié. Car tout le monde sait qu’il est totalement innocent.
Umunyamakuru: Me, vos propos rejoignent exactement ceux d’un ancien consultant rwandais auprès du TPIR, Joseph Ngarambe, avec qui je me suis entretenu dernièrement sur le fonctionnement du TPIR.
Me John Philpot : Ce monsieur, Joseph Ngarambe, je le connais très bien ; ce qu’il dit est totalement exact.
Umunyamakuru: En résumé, vous êtes donc entrés au TPIR par le biais de grève de faim de Monsieur Akayesu et de solidarité de ses coaccusés. C’est bien ça ?
Me John Philpot : Exact. Avec la jeune avocate québécoise et le martiniquais qui défendait Monsieur Bagosora nous avons fait bougé les choses. Car, les accusés n’avaient aucun droit de se choisir un avocat de leur convenance avant. Les avocats leur étaient donc imposés.
Umunyamakuru: D’après la documentation consultée, «en 1998 et en 1999, à la suite d’une grève de la faim de neuf jours de M. Jean-Paul Akayesu et d’une grève de solidarité de trois jours des 25 accusés au TPIR, la Chambre d’appel vous a accordé le droit de représenter M. Akayesu». Quel a été votre rôle dans ce cas bien précis de M. Jean-Paul Akayesu, dans son combat pour le droit d’avoir un avocat de son choix ?
Me John Philpot : Comme je vous l’ai déjà dit, c’est vraiment grâce à la solidarité de grève de faim – disons, une prise de conscience de tous ces coaccusés à propos de leurs droits bafoués – que nous avons pu faire valoir nos arguments qui, au début, n’étaient pas entendus. Je dirais donc que nous avons tous – avocats et coaccusés –bien travaillé et fait basculer les barrières, des murs du TPIR.
Umunyamakuru: À part ça, combien ont été vos clients au TPIR?
Me John Philpot : À fond, j’ai plaidé pour trois personnes au TPIR: Jean-Paul Akayesu en appel, Protais Zigiranyirazo et Ildefonse Nzeyimana [Ndlr : mais aussi Théoneste Bagosora à titre d’avocat pro bono].
Umunyamakuru: Votre client, Zigiranyirazo Protais, surnommé ZED, – homme d’affaires et homme politique – était accusé d’être un membre actif et influant du réseau dit ‘‘Akazu’’ (traduit littéralement en français par maisonnette) qui aurait planifié, ordonné et exécuté le génocide contre les Tutsi. Pouvez-vous nous décrire brièvement l’issue de son procès et quelle est sa situation actuelle ?
Me John Philpot : Avec les avocats et l’équipe de la défense, on a gagné son acquittement. Je souligne ici l’«on» car ce n’est pas le seul avocat qui gagne le procès : c’est toute l’équipe de la défense, des enquêteurs et les membres de la famille. Tout le monde s’est beaucoup adonné pour ce procès hautement politique et nous l’avons gagné. J’insiste vraiment là-dessus, car l’avocat tout seul, quel qu’il soit intelligent, professionnel, brillant ou que sais-je encore…, ne peut pas gagner tout seul un tel procès hautement politisé. Tous les Rwandais devraient d’ailleurs en être fiers [Ndlr : être fier de la victoire de Protais Zigiranyirazo]. Car, si on le condamnait, ça aurait permis de justifier la propagation de la thèse selon laquelle Habyarimana a préparé le génocide, ce qui est évidemment totalement faux.
Umunyamakuru: Bien que votre client soit acquitté, est-ce cela a vraiment effacé les soupçons nourris au sein du TPIR qu’il y a eu l’Akazu qui a préparé le génocide ?
Me John Philpot : Écoutez ! L’histoire d’Akazu était une ‘‘démonisation’’ de l’entourage du président Habyarimana ; c’est une pire fabrication il n’en a pas eue. Et d’ailleurs il y a eu des témoins d’accusation qui ont avoué au tribunal qu’ils ont inventé ce concept d’«Akazu», en 1992-1993, pour blâmer l’entourage du président Habyarimana. Cela a aussi contribué pour gagner ce procès.
En effet, qu’on l’aime ou qu’on le haïsse, tout le monde sait que Habyarimana était vraiment un leadership bien éclairé. Moi, personnellement, je connais son conseiller suisse qui l’estimait beaucoup. Il me parlait de lui comme étant un homme charismatique et visionnaire. On ne peut donc en aucun cas justifier comment il aurait préparé ce fameux «génocide» et en devenir la première victime. C’est donc un pire mensonge.
Umunyamakuru: Votre ancien client, Zigiranyirazo Protais, avec les 7 autres co-accusés, a été dernièrement transféré au Niger. Avez-vous été préalablement informé de son transfert ? Et si oui, quand, par qui et quel a été votre conseil en matière de droit vis-à-vis de votre client et du mécanisme ?
Me John Philpot : Le mécanisme a signé le contrat avec le Niger, le15.11.2021. Nous n’en étions pas au courant. Quelques jours plus tard, le mécanisme a dit à ces anciens accusés qu’ils vont avoir 1000 dollars mensuellement, durant toute une année, avec un contrat de résidence permanente au Niger. Et il les a sommés de ne jamais parler de tout ça au public. Pour certains de ces anciens codétenus cela n’en était pas aussi si mauvais mais pour d’autre c’était un gros problème. Je ne connais évidemment pas tous les détails et positionnement de tout un chacun.
Ce que je connais c’est que presque la majorité souhaitait et souhaite encore aujourd’hui rejoindre leurs familles, éparpillées ici et là en Europe et sur le continent américain. Et à ce titre, Jérôme Bicamumpaka, suite aux problèmes de santé, voulait rejoindre sa famille au Canada. Il a alors refusé de signer ce contrat et est resté encore aujourd’hui à Arusha. C’est au fait à la veille du départ au Niger que certains se sont rendu compte qu’ils ont signé un accord non souhaitable – ça s’est mon interprétation personnelle – et qu’ils ont commencé à contacter leurs avocats.
Umunyamakuru: Le contrat signé entre Niger et les sept anciens détenus d’Arusha stipule que Niger accepte de les octroyer une résidence pérennante et qu’au bout de quelques années (une année ou 2 ans, si je ne me trompe pas) de prise en charge par le mécanisme, celui-ci allait se désengager totalement vis-à-vis d’eux. Or ces anciens détenus sont aujourd’hui à l’âge ou près de la retraite. Si j’ai bonne mémoire la personne la plus jeune parmi a autour de 60 ans. De plus ils sont loin de leur famille. Pensez-vous que l’option envisagée par le mécanisme était vraiment bien réfléchie et respectueuse de leurs droits ou tout simplement c’était une façon de s’en débarrasser, car devenues un lourd fardeau pour l’ONU?
Me John Philpot : Vous posez la bonne question et dans votre question se trouve même la réponse : le but était très clairement de se débarrasser de ces gens qui, pourtant, en matière de droit international, ont le plein droit de rejoindre leur famille pour se reconstruire. Je partage donc la réponse de votre question.
Umunyamakuru: Le gouvernement du Niger avait donné un délai de sept jours à ces anciens accusés d’Arusha pour quitter leur pays. Comment avez-vous reçu et vécu cela ?
Me John Philpot : C’était épouvantable, non pas pour nous avocats mais plutôt pour ces personnes escroquées. J’étais en vacances et j’ai été contacté par la famille de mon client à la dernière minute. Personnellement, je ne savais pas quoi faire ! C’était vraiment précipité et on ne comprenait pas comment le Niger pouvait revenir brusquement sur sa décision. Pour cette affaire, il se pourrait que le Niger ait été mis sous pression par le Rwanda et la France. Mais… peu importe ! Ce qui est important c’est que nous avons pu nous coordonner et nous mobiliser rapidement pour contrecarrer cette expulsion de ces sept personnes. Pour le moment je pense que les choses vont bon train de ce côté-là.
Umunyamakuru: Après ce marathon diplomatique et judiciaire entre le mécanisme et le Niger qui voulait expulser ces anciens accusés d’Arusha contre leur gré vers le Rwanda, actuellement ils sont en attente de retour en Tanzanie, à Arusha. Quel a été votre rôle et celui des autres intervenant dans cette affaire juridico-politique et diplomatique ? Quelle est donc finalement la clé du succès escompté?
Me John Philpot : Nous (Ndlr : avocats des anciens accusés) avons tout fait auprès du mécanisme pour défendre nos clients. Il y a eu également une campagne internationale politique et juridique auprès du mécanisme contre l’expulsion que le Niger voulait faire. Beaucoup des Rwandais vivant en exil s’y sont massivement impliqués et c’est vraiment très louable. Tout cela a joué un grand rôle dans ce combat. C’est grâce à tous ces efforts des uns des autres que le Tribunal a ordonné que ces personnes soient bientôt rapatriées à son siège à Arusha. On attend impatiemment la date du retour. Sur cette question, je pense que, de la part du mécanisme et de l’ONU, il y a eu une reconnaissance de leur responsabilité. Juridiquement et politiquement, ils se sont dit, je pense, qu’ils sont responsables du sort de ces personnes acquittées. Le retour forcé de ces personnes au Rwanda allait discréditer encore davantage l’ONU et le mécanisme dans la gestion du génocide. Cela étant, en matière du droit international, il n’y a pas eu de grand-chose qui a bougé. Car, normalement, en matière de droit international, ces personnes acquittées devraient être autorisées et facilitées à rejoindre leurs familles.
Umunyamakuru: D’après la décision du juge, le Niger disposait un délai de sept jours pour faire savoir au mécanisme s’il entend interjeter sa décision. Où en est la situation aujourd’hui ?
Me John Philpot : On ne sait pas. Jusqu’à l’heure d’aujourd’hui il n’a pas officiellement contesté, ce qui veut dire qu’il en a pris tout simplement bonne note.
Umunyamakuru: Comme vous le savez, en droit, chaque pays est souverain, ce qui implique qu’il peut prendre la décision d’accepter ou de refuser une telle ou telle proposition, peu importe d’où elle vient. Ainsi, la Tanzanie comme un pays souverain peut accepter ou refuser d’accueillir ces personnes. En sauriez-vous quelque chose : est-elle favorable ou défavorable pour l’accueil de ces personnes?
Me John Philpot : Honnêtement je n’en sais rien. Mais cela relève des compétences du mécanisme et continue d’espérer que la Tanzanie ne va pas les refuser, étant donné qu’elle les hébergeait depuis des années. Et en plus de cela, elle pourra en profiter pour faire redorer une fois de plus son image, jusqu’ici très positive. Même si la Tanzanie les accueille encore de nouveau, la grande question et même très importante reste toujours posée : en définitive, dans quel pays iront ou pourront vivre ? La solution est toujours dans la main de l’ONU qui a créé le TPIR et doit gérer et protéger les personnes condamnées et acquittées.
Umunyamakuru: Me, merci de bien vouloir me tendre la perche. Je vais la profiter pour vous poser une question importante et très subsidiaire à celle que vous vous posez: pourquoi, au fait, ces personnes doivent être rapatriées en Tanzanie alors qu’elles ont les familles ici et là en Europe et en Amérique (Canada, France, Belgique, Pays-Bas, Luxembourg, Danemark) ?
Me John Philpot : L’Occident doit changer son fusil d’épaule. Car, il est vraiment très honteux de parler des droits de l’homme et d’exiger aux autres de les respecter sans en être exemplaire.
Umunyamakuru: Des pays défenseurs des droits de l’homme mais…. Comment peut-on alors comprendre ou expliquer ce paradoxe ?
Me John Philpot : Il faut se rappeler que ces pays qui parlent ou prétendent être défenseurs des droits de l’homme ce sont ces mêmes pays qui ont colonisé [Ndlr : directement ou indirectement] l’Afrique. Ces pays avec leurs alliés dont, par exemple, mon pays le Canada, n’ont effectivement aucune leçon à donner aux autres en matière des droits de l’homme ou de justice sur ce point précis.
Umunyamakuru: Le cas le plus parlant et très illustre pour votre pays, le Canada, est évidemment celui du Père Guy Pinard abattu en pleine messe à Ruhengeri par les hommes de mains de Kagame. Vous en connaissez quelque chose ?
Me John Philpot : Le cas du Père Guy Pinard est bien connu. Le père Guy Pinard était à l’école avec l’ancien premier ministre, Justin Trudeau, et celui-ci ne veut rien savoir de son assassinat. C’est dommage !
Umunyamakuru: Le TPIR a été souvent critiqué pour son impartialité, par le fait qu’il n’a jamais jugé des éléments du FPR. Beaucoup de Rwandais ont en tout cas ce sentiment. Certains experts en droit, dont par exemple Filip Reyntjens, estiment qu’il a failli à sa mission et demeure un outil favorable à Kagame. Qu’en pensez-vous ?
Me John Philpot : Premier chose : le TPIR n’est pas un tribunal, c’est un instrument politique de l’Occident contre les perdants de la guerre pour s’assurer de la primauté du FPR et de l’Occident au Rwanda. Le TPIR n’est pas un tribunal neutre. Il n’avait jamais vraiment l’intention de faire justice, même si ce qui est noté dans les statuts. Et pour la référence que vous venez de citer, il faut se rappeler que Monsieur Reyntjens a témoigné contre Bagosora et qu’il était très clairement contre le président Habyarimana. Il ne mérite donc pas, pour moi, une image de neutralité. Il y a des défauts et des qualités mais il faut faire la part des choses dans le cas de justice qui nous occupe ici : Monsieur Bagosora a été acquitté de toutes les charges personnelles et Monsieur Reyntjens a totalement tort. Il a tort à sans cent pour cent, je précise, car il a accusé Monsieur Bagosora d’avoir planifié et exécuté le génocide sans aucune preuve tangible. De plus, lorsque les militaires de Habyarimana étaient de l’autre côté du Kivu, avec des réfugiés Hutu, au Congo, il a osé dire que le FPR avait raison de résister et de les attaquer au Congo. Il enfreignait sciemment les règles de droit international en donnant raison à un gouvernement putschiste.
Umunyamakuru: Parlons maintenant du positif ou du moins des tentatives. Madame Carla Del Ponte avait essayé d’ouvrir une enquête sur le FPR. Je pense que vous vous en souvenez.
Me John Philpot : Bien sûr. Vous avez bien raison d’en parler. En 2003, elle a tenté d’ouvrir une enquête sur le FPR et pour cela je lui accorde un crédit, même si ce projet n’a pas abouti. Mais par contre, je lui retiens plus de crédits puisqu’en 1998 elle s’est radicalement opposée à la libération de Jean Bosco Barayagwiza, proposée par le juge. Voilà son héritage au TPIR.
Umunyamakuru: Vous avez visité ces personnes à Arusha, je présume. Comment les avez-vous trouvées : aigries, révoltées, angoissées, traumatisées, résignées, rétablies moralement, psychologiquement…?
Me John Philpot : Je les ai visités plusieurs fois et la dernière c’était en 2018. Je les ai trouvées, en général, souriantes et combattives. Concernant toutes ces questions de «for intérieur» ou d’état d’âme, je ne peux pas y répondre car je ne peux généraliser. Chaque personne gère à sa manière ses blessures. N’oublions pas trop que ces gens ont subi des injustices et les gens qui subissent des injustices ne réagissent ni gèrent de la même manière leur situation post-injustice. La souffrance est quelque chose de plus personnelle et d’intime. C’est pour cela que je ne veux pas beaucoup m’y prononcer
Umunyamakuru: Ayant vu personnellement ces personnes à Arusha, en 2018, je trouve plutôt qu’elles ont développé une résilience exceptionnelle.
Umunyamakuru: Avant de clôturer notre entretien, parlons un peu des familles de ces personnes. Depuis l’arrestation des leurs, elles endurent les choses lourdes….
Me John Philpot : Certainement. Leur souffrance est énorme. Elles vivent des choses lourdes. Je pense à elles et à tous les Rwandais, surtout à ceux qui ont connu et vécu la guerre depuis le 1 octobre 1990. Ceux qui sont tombés (morts en prison ou sur les collines), ceux qui ont connu la prison ils méritent le respect.
Umunyamakuru: Me John Philpot, c’est un honneur de nous entretenir avec vous et je vous remercie d’avoir accepté de répondre à nos questions.
Me John Philpot: C’est moi qui vous remercie.
Post-scriptum: Cette entrevue fût tenue le 11 février au lendemain de la décision ordonnant le retour en Tanzanie. Depuis, la situation s’est stagné et cette victoire n’est que partielle parce que le Mécanisme n’a pas résolu le retour en Tanzanie. Le Mécanisme/Nations Unies n’a pas encore assumé les responsabilités qui lui sont dévolues. Un autre échec est possible au dépens de ces anciens accusés innocentés et ayant purgé leurs peines et libérés.