Faustin Twagiramungu – Ainsi disparaît le dernier des grands!

©Photo/Réseaux sociaux: Faustin Twagiramungu.

09/11/2022, par Victor Manege Gakoko

À l’âge de 78 ans, Faustin Twagiramungu est décédé de façon inopinée le 02 décembre 2023. Avec lui, disparaît un fervent et lucide patriote, un défenseur de la paix et la concorde nationale, le dernier des grands hommes d’État rwandais de notre époque contemporaine et une contribution inestimable de l’histoire politique du Rwanda.

Après le coup d’État militaire de 1973, il est devenu une figure marquante de la continuité de la lutte contre la servitude   politique, sociale et économique du peuple rwandais et pour son émancipation intégrale.

À la tête de la ‘‘Société des Transports Internationaux du Rwanda’’ (STIR), il a joué un rôle majeur dans l’adoption du 1er Traité Multilatéral, signé en 1985, relatif à la création du “Corridor Nord de Transport” qui relie aujourd’hui les six pays enclavés au Port Maritime Kenyan de Mombasa, à savoir : le Burundi, la République Démocratique du Congo, le Rwanda, le Soudan du Sud et de l’Ouganda. En outre, c’est grâce à sa vision que le gouvernement rwandais a négocié et obtenu une concession au port de Mombasa. Enfin, pour diversifier les voies des opérations de transit (importations et exportations) et pour désenclaver davantage le Rwanda, Faustin Twagiramungu a rendu possible l’utilisation du port de Dar es Salam (Tanzanie) comme port stratégique subsidiaire.

En 1990, avec son ami, mentor et compagnon de lutte politique, feu Félicien Gatabazi (qui fut son patron comme Ministre des Transports et communication), ils font partie des trente-trois intellectuels rwandais légendaires qui ont demandé dans une lettre ouverte au régime en place l’abolition de l’institutionnalisation du MRND comme parti-état et l’ouverture du multipartisme. C’est suite à cette initiative citoyenne que les différents partis politiques ont été créés qui, finalement, se sont polarisés en blocs pro et anti régime du président Habyarimana.

De 1991 à 1994, en sa qualité de Président, Faustin Twagiramungu a coordonné les différentes activités au sein du parti MDR et s’est illustré tout particulièrement par des prises de position ferme en faveur d’un règlement politique négocié avec le FPR qui avait attaqué le Rwandais le 1er octobre 1990. C’est dans cette même logique qu’il a participé activement à la transition dite démocratique et au sein des Forces Démocratiques pour le Changement (FDC) où le gouvernement de coalition à la tête duquel le parti MDR (formé par le parti présidentiel MRNDD et les autres partis d’opposition PSD, PL et PDC) a conduit les négociations de paix d’Arusha (Tanzanie) avec le FPR jusqu’à leur signature le 04 août 1993. C’est aux termes de ces accords que, malgré les turbulences voire les dissensions au sein du MDR, Faustin Twagiramungu est désigné Premier Ministre du gouvernement de transition à base élargie auquel le FPR a accepté de participer.

Suite à l’assassinat lâche du président Habyarimana en avril 1994, un vide institutionnel sans précédent au sommet de l’État s’est installé plongeant le pays dans le chaos total et le précipitant ainsi dans une guerre civile qui s’est transformée rapidement en génocide suivi d’un exode massif des populations rwandaises vers les pays voisins. C’est dans ces circonstances que le FPR a pris le pouvoir et a reconduit Faustin Twagiramungu, sauvé in extremis par la MINUAR, comme Premier Ministre du gouvernement de l’union nationale post-génocide.

Les débuts de la reconstruction du Rwanda furent compromis par les crimes systématiques et à grande échelle commis par les soldats du FPR aux populations rescapés de la tragédie rwandaise. Devant de tels massacres des innocents, le Premier Ministre Faustin Twagiramungu, le Ministre de l’Intérieur Seth Sendashonga et le Ministre de la Justice Marie Alphonse Nkubito ont de concert et à maintes reprises dénoncé, au sein des conseils du gouvernement, ces crimes impunis les imputant à l’armée patriotique rwandaise avec la complicité des services de sécurité et l’aval du Ministre de la Défense d’alors le Général Paul Kagame qui cumulait en même temps le poste de Vice-président de la République. Face à l’indifférence la plus totale à ces crimes généralisés à travers tout le pays, pourtant documentés par des enquêtes des organisations des droits de l’homme, le Président Pasteur Bizimungu, le Vice-président Paul Kagame et les ministres issus du FPR ont préféré minimiser l’affaire en optant une attitude défensive. Du coup, pour se désolidariser de ce régime sanguinaire et en signe de protestation, Twagiramungu, Sendashonga, Nkubito et Nkuliyingoma ont démissionné du gouvernement de l’union nationale en octobre 1995.

Au cours de ces dernières trente années malheureuses, Faustin Twagiramungu a consacré toute son énergie à dénoncer et combattre les injustices, la cruauté et les crimes de toutes sortes qui continuent d’être perpétrés au Rwanda et dans la région des Grands Lacs. Il a par ailleurs créé une organisation politique RDI-Rwanda Rwiza dont le principal but est la mobilisation citoyenne et l’éveil à la conscience patriotique.

Point n’est besoin de souligner que Faustin Twagiramungu avait une certaine idée de la réconciliation, la paix et l’unité du peuple rwandais, qui seraient bâties sur un socle de citoyenneté, de fraternité et de solidarité. Pour lui, cet idéal ne pourrait être atteint qu’à travers un compromis historique de rei-ingénierie de l’État-Nation issu d’une Conférence Nationale Souveraine dite “Rukokoma”, autrement dit qu’à travers les États Généraux de la République.

L’humanisme, le patriotisme et le militantisme qui ont particulièrement caractérisé la vie politique de Faustin Twagiramungu s’inscrivent parfaitement dans les bilans historiques élogieux des précurseurs de la Révolution Sociale de 1959, en l’occurrence Gitera, Kayibanda et Munyangaju.

Son intérêt pour la sociologie africaine, son goût pour les idées réformatrices, l’aisance de sa pensée, la rigueur de ses raisonnements et de ses analyses ainsi que l’éloquence de sa voix et la portée de sa parole plaident pour que son nom soit  inscrit en lettres indélébiles et honoré à sa juste valeur au Temple de la renommée des grandes personnalités rwandaises.

À travers cet hommage, c’est aussi l’occasion d’adresser à sa famille et à ses proches les sincères condoléances et le témoignage de la profonde sympathie.

Grand Frère, Requiem In Pace Aeternam et que cette composition musicale “Pie Jesu” d’Andrew Lloyd Webber t’accompagne dans ta dernière demeure (https://youtu.be/WPlyqsbCADo?si=spWqSHXP-22NGCkJ).

[Pie Jesu, pie Jesu, pie Jesu, pie Jesu

Qui tollis peccata mundi

Dona eis requiem, dona eis requiem

Pie Jesu, pie Jesu, pie Jesu, pie Jesu

Qui tollis peccata mundi

Dona eis requiem, dona eis requiem

Agnus Dei, Agnus Dei,

Agnus Dei, Agnus Dei

Qui tollis peccata mundi

Dona eis requiem, dona eis requiem

Dona eis requiem

Sempiternam]

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