Paru le 09/07/2015 sur le blog EJCM INFO
Le président rwandais Paul Kagame a de nouveau critiqué sévèrement la France lors du discours du 04 juillet 2015, l’accusant pour la énième fois d’avoir trempé dans le génocide au Rwanda. Est-ce que réellement la France a préparé et participé au génocide comme le prétend le patron du FPR ? S’agit-il d’un acharnement et intimidation qui visent à tenter de masquer ou faire oublier les crimes reprochés à l’armée dont il est responsable ? La France est-elle le pays le plus à blâmer au regard de l’attitude de la communauté internationale au moment de la tragédie rwandaise ? Kagame a-t-il intérêt de rester dans une posture offensive, ou mieux vaut arrêter la politique de l’autruche si l’on veut tourner la page pour pouvoir se réconcilier ?
L’acharnement du président Kagame contre la France est-il justifié ?
L’année dernière le journal Le Figaro datant du 07 avril 2014 titrait « Paul Kagame, l’homme qui n’aime pas la France ». Et le journaliste Tanguy Barthemet de poursuivre : « la France est en fait un bouc émissaire idéal. Si Paris sous-estime son rôle au Rwanda, refusant notamment de faire des excuses, contrairement à la Belgique, à l’ONU ou aux États-Unis, Paul Kagame le surestime, sans doute volontairement ».
« Mais d’où vient vraiment cette haine »? se demande le journaliste du Figaro. A 57 ans, président depuis 15 ans, après le poste de vice-présidence dès juillet 1994, le général Paul Kagame est réellement le véritable « commandant de bord » depuis 21 ans. Il dirige avec une main de fer. Aussi bien incontestable que redouté par son entourage, le président Kagame est capable de bousculer les codes même au-delà des frontières. Quand il s’agit de défendre ses intérêts, il se permet, sans états d’âme, de faire preuve d’absence du respect de conventions, relève un diplomate français.
Le Figaro rappelle que c’est dans le maquis que naît l’hostilité de Paul Kagame à la France. En effet, il n’a jamais digéré le soutien français à l’armée légaliste de Kigali. Et ce fut particulièrement amer au moment où il était à la tête d’une rébellion en guerre atroce contre le Rwanda. Un mépris et une méfiance qui étaient probablement réciproques à cette époque. Ainsi en 1991, alors qu’il se rend à Paris pour discuter d’un éventuel cessez-le-feu, il est placé 12 heures en garde à vue.
Paul Kagame a gardé une dent contre la France. Il ne l’aime pas, au moins ses responsables, et ne s’en cache pas vraiment. C’est son ennemi favori, souligne Tanguy Berthemet du Figaro. La France est en fait un bouc émissaire idéal. Si Paris sous-estime son rôle au Rwanda, refusant notamment de faire des excuses, contrairement à la Belgique, à l’ONU ou aux États-Unis, Paul Kagame le surestime, sans doute volontairement.
Y-a-il une stigmatisation envers la France ?
Le « chairman » du FPR a toujours tenu des propos hostiles à l’égard de l’Hexagone et parfois de manière excessive. Le journal La Croix du 07 avril 2014 a indiqué : « les commémorations du génocide ont souvent été l’occasion pour Kigali de stigmatiser l’attitude de la France en 1994 ». En 2004, à l’occasion du dixième anniversaire du génocide, la délégation française, conduite par le secrétaire d’État aux affaires étrangères de l’époque, Renaud Muselier, avait quitté la cérémonie commémorative après que Paul Kagame s’en fut pris dans son discours aux Français en déclarant qu’ils avaient l’audace de rester là sans s’excuser.
Le 5 avril 2014, Paul Kagame avait, dans les colonnes de l’hebdomadaire Jeune Afrique, accusé la France d’avoir joué un « rôle direct dans la préparation du génocide » et d’avoir participé « à son exécution même ».
A ce sujet le journaliste François Soudan insiste et lui demande : « complicité ou participation » ? Et le président rwandais de répondre : « les deux ! Interrogez les rescapés du massacre de Bisesero en juin 1994 et ils vous diront ce que les soldats français de l’opération Turquoise y ont fait. Complices certes, à Bisesero comme dans toute la zone dite « humanitaire sûre », mais aussi acteurs.
En signe de protestation, Paris avait annulé le déplacement au Rwanda de la garde des Sceaux, Christiane Taubira, annonçant qu’elle serait remplacée par Michel Flesch, l’ambassadeur de France à Kigali. Ce dernier s’est vu retirer le 6 avril au matin l’accréditation du gouvernement rwandais pour la cérémonie officielle de lancement des commémorations. Il n’a pas non plus été autorisé à déposer une gerbe de fleurs au mémorial de Gisozi, l’après-midi.
L’homme le plus redoutable de la région des grands lacs a renouvelé ses attaques contre Paris le 4 juillet dernier au moment de la célébration du 21ème anniversaire de la prise du pouvoir de l’APR (Armée Patriotique Rwandaise). Ce qui est surprenant, la veille, son homologue français François Hollande avait daigné lui envoyer un télégramme de félicitations à l’occasion du 53ème anniversaire de l’indépendance du Rwanda obtenue le 01 juillet 1962. Mais, ce fut une belle occasion pour Kagame d’enfoncer le clou.
Hier, comme depuis toujours, il parle de la France comme faisant partie des génocidaires. Même l’Opération Turquoise est perçue par Kigali comme une stratégie de protéger et donner un coup de pouce aux ex-FAR (Forces armées rwandaises) et Interahamwe. Les autorités rwandaises reprochent aux Français d’avoir dispensé des entrainements militaires aux Rwandais. Mais, la vraie question est de savoir si les Français ont incité ou aidé les Rwandais pour qu’ils éliminent leurs compatriotes innocents. Ne faudrait-il pas des enquêtes minutieuses et indépendantes pour faire la lumière ?
Quelle a été la réaction de la France face aux critiques répétées de Paul Kagame?
Les allégations de Paul Kagame ont suscité dans la classe politique française une désapprobation, indignation et condamnation de plusieurs personnalités : Manuel Valls, le Premier ministre, Édouard Balladur (premier ministre pendant l’opération Turquoise), Alain Juppé (ministre des affaires étrangères à l’été 1994), Paul Quilès (rapporteur de la mission d’information parlementaire sur le Rwanda en 1997) et François Léotard (ancien ministre de la défense
Dans son discours de politique générale, en avril 2014, le Premier ministre français Manuel Valls a qualifié d’indignes et injustes les accusations de Paul Kagame . La saillie du président Kagame a fait bondir Alain Juppé. « Il est rigoureusement faux que la France ait aidé en quelque manière les auteurs du génocide à préparer leur forfait », écrit l’ex-chef de la diplomatie française au moment des faits dans une tribune au Figaro, rappelant qu’au contraire, Paris « a tout fait pour pousser à la réconciliation des deux camps », Hutu et Tutsi. L’actuel maire de Bordeaux a appelé François Hollande à défendre l’honneur de la France.
François Léotard a pour sa part admis qu’« Il y avait certainement la volonté de freiner l’avancée du FPR sur Kigali. Mais c’est une réécriture de l’Histoire que de croire que la France avait connaissance d’une volonté de génocide. C’est absurde. Il n’y avait certainement pas de complicité. Celui qui détenait le portefeuille de la Défense en 1994 se dit : «scandalisé que l’on remette en cause l’opération Turquoise qui était extrêmement compliquée. Nous sommes aujourd’hui accusés de façon infamante. Paul Kagame agit ainsi pour se sortir d’une passe diplomatique et intérieure difficile. C’est un petit dictateur comme malheureusement un certain nombre de pays en ont produit ».
L’ancien Premier ministre Édouard Balladur, interrogé par Europe 1, a qualifié de mensongers les propos de Kagame : « le gouvernement que je dirigeais a, dès qu’il a été installé, mis fin à toute livraison d’armes au Rwanda et retiré les troupes françaises ». D’après lui, Paul Kagame « cherche sans cesse à mettre en cause la France alors que lui-même n’a pas réussi, au bout de vingt ans, à rassembler le peuple rwandais ».
Hubert Védrine ancien secrétaire général de l’Elysée sous François Mittérand rappelle (Ici le lien est excessivement long ! Hubert Védrine suffit) que la France avait fait pression pour que l’ex-président rwandais Juvénal Habyalimana accepte le partage du pouvoir, ce qui avait abouti à la signature des accords de paix d’Arusha. Conformément à ces accords, l’armée française avait quitté le Rwanda en 1993 et une force de l’ONU de 2500 hommes (MINUAR) avait été chargée d’en faciliter la mise en œuvre.
Par la suite, la question qui se pose au moment du drame est double :
L’ONU n’aurait-elle pas dû renforcer les Casques bleus au lieu de les retirer du pays dès l’embrassement meurtrier ? Pourquoi la France est-elle partie seule au Rwanda en plein génocide sans qu’aucun autre pays n’ait le courage de la rejoindre pour intervenir conjointement ?
En 2010, lors d’une visite au Rwanda, Nicolas Sarkozy avait admis : «Des erreurs d’appréciation, des erreurs politiques ont été commises ici et elles ont eu des conséquences absolument dramatiques». Même «une forme d’aveuglement» pour n’avoir pas su anticiper puis arrêter le génocide, avait-il précisé. L’engagement français, avec l’opération militaire «Turquoise» – organisée à des fins humanitaires à la fin du génocide – a «sans doute» été trop tardif et trop faible, avait-il également concédé.
Relations compliquées avec les voisins et des pays étrangers
L’aura de Kagame n’a cessé de s’effriter depuis que ses aventures guerrières au Congo voisin ont renforcé le sentiment qu’il est le responsable de l’instabilité régionale. Et le mystère de l’attentat contre l’avion du président Habyarimana, n’est pas pour le rassurer.
Certains observateurs n’hésitent plus à dire que ce dossier hante l’homme fort de Kigali. C’est un dossier ultrasensible qui peine à trouver son épilogue, alors qu’au début, lui et son entourage avaient été mis en cause dans cet acte de terrorisme. Il peut avoir des rebondissements à tout moment car il n’a pas été enterré, ni classé sans suite. La preuve est que les mandats d’arrêts n’ont pas été retirés et que les enquêtes, notamment françaises, n’ont pas encore abouti aux conclusions définitives. D’où la tentation de se braquer contre tout ce qui le met en cause.
Toutefois, le pays de Voltaire n’est pas le seul dans le viseur de « l’homme fort » de Kigali. Pour diverses raisons, les relations avec les États-Unis et la Grande-Bretagne ne sont plus les mêmes qu’au moment de la prise du pouvoir par le général Kagame. A ceux-là, s’ajoute l’Espagne qui exige l’extradition du général Karenzi arrêté à Londres pour des crimes qui lui sont reprochés par la justice ibérique. Pire, les relations avec les pays limitrophes du Rwanda ne sont pas non plus au beau fixe. Le cas français est celui qui connaît des relations les plus tumultueuses, de près d’un quart de siècle.
Depuis la « balkanisation » de l’Afrique au moment de la conférence de Berlin (1884-1885), le Rwanda n’avait connu de problèmes de relations diplomatiques majeurs avec les pays voisins. Récemment, les tensions vives se sont multipliées : avec la Tanzanie suite aux déclarations de son président Jakaya Kikwete, qui avait conseillé à son homologue rwandais des pourparlers avec l’opposition en exil. Ensuite, la RDC qui, depuis plusieurs années, a maintes fois accusé le Rwanda soit d’occuper une partie de son territoire, soit de soutenir les fractions armées contre Kinshasa ; sans oublier le conflit qui a opposé les armées rwandaise et ougandaise en RDC en 1999 et qui a fait d’innombrables victimes des deux côtés.
Enfin, au mois de mai dernier Paul Kagame avait critiqué le président burundais en disant : « quand le peuple dit qu’il ne veut plus de vous, il ne faut jamais poursuivre de force ». Pierre Nkurunziza avait répliqué indirectement après le coup d’Etat manqué. Implicitement, il a laissé apparaitre son doute quant à l’innocence de son voisin dans le putsch alors que certaines familles de ceux qui ont failli le renverser, avaient été accueillies par les proches du président rwandais à Kigali.
Les cadavres retrouvés flottant sur le lac Rweru ne sont pas passés inaperçus. Les Etats-Unis avaient exprimé leur préoccupation. Les pêcheurs et les riverains de ce lac avaient déclaré que les cadavres venaient du Rwanda. Les autorités rwandaises ont récusé cette version sans avoir vérifié ni autopsié les corps.
Par ailleurs, les Etats-Unis se sont montrés opposés à un éventuel troisième mandat de Kagame. Ils pensent que la démocratie s’améliore avec des institutions fortes et non des hommes forts. Le rétablissement des relations de confiance entre le régime de Kigali et tous ces pays prendra beaucoup de temps. Mais, ne faudrait-il pas plutôt commencer par rétablir un climat d’apaisement envers ses opposants politiques, ensuite les pays voisins et enfin le monde occidental? Dans tous les cas, il convient de faire le meilleur choix ; et entre les bonnes relations et les hostilités, c’est comme le jour et la nuit.
Jean-Claude Mulindahabi