Paru sur le blog EJCM INFO le 23/12/2014
Le Rwanda et les Rwandais ont depuis plus d’un demi-siècle raté plusieurs rendez-vous avec l’Histoire. Les trois années à venir pourraient ouvrir une nouvelle ère. Une ère d’espoir et de quiétude pour chacune et chacun à condition de ne pas passer à côté de l’ultime nouveau rendez-vous. Il en va de la responsabilité de tous les citoyens, à commencer par les hommes politiques tant du régime en place que ceux de l’opposition. Les défis sont nombreux. Il va falloir faire preuve d’un patriotisme nourri d’actes concrets et faire montre de maturité politique, porteuse de valeurs et de fruits jusque-là inouïs. Une société civile forte s’avère indispensable si on vise un avenir plus juste, plus responsable et plus équitable.
Prendre au sérieux le problème des réfugiés
Vieux comme la République du Rwanda, le problème de réfugiés n’a jamais été traité en temps et en heure de manière réaliste. Toute tentative de règlement n’aura abouti à aucune solution valable, car le problème a toujours été abordé de façon simpliste, sans regarder en face sa gravité. Le dernier exemple en date étant le message donné par les autorités actuelles : « rentrez, il n’y a plus de guerre, la paix règne au pays ». Si depuis l’abolition de la monarchie suivie par l’instauration de la république en 1961, certains Rwandais se sont vus obligés de prendre le chemin d’exil, et que jusqu’à maintenant, on compte de nouveaux réfugiés politiques chaque année, c’est que les leaders politiques de toutes les époques au sommet de l’Etat ne pourraient prétendre avoir dirigé le pays avec succès.
L’échec est flagrant. Pour le moment, on joue la politique de la loi du plus fort. Les conflits politiques ont dépassé les limites entre ceux qui ont pris le pouvoir par les armes et ceux qui l’ont perdu. Ces conflits ont atteint les compagnons d’armes d’hier. Le nombre de dissidents du FPR a sensiblement augmenté ces dernières années. Il ne serait pas raisonnable de minimiser la situation. Au lieu de reconstruire ou consolider l’unité de la nation dans la recherche de solutions appropriées aux conflits, le malheur est de voir les politiciens traiter leurs concitoyens d’ennemis. Il faut être trop zélé pour défendre un bilan d’un pouvoir qui a eu du mal à privilégier la base d’une nation, c’est-dire l’unité. Celle-ci est la pierre angulaire sur laquelle tout se construit.
Le respect du peuple et de la Constitution
En 2017, le président Paul Kagame aura achevé son deuxième mandat. En théorie, c’est le dernier. L’article 101 de la Constitution rwandaise précise qu’en aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels. L’article 193 souligne la pertinence de la révision pour certaines situations, ce qui sous-entend qu’il faut un motif exceptionnel pour passer à l’acte. En voici l’extrait :
« … Lorsque la révision porte sur le mandat du président de la République, elle doit être approuvée par référendum. Aucun projet de révision du présent article ne peut être recevable ». Il convient aussi de rappeler que lors du serment d’investiture, le président jure de respecter la Constitution.
Certains chefs d’Etat africains, assoiffés du pouvoir, se permettent de réviser la Constitution de leur pays afin de pouvoir briguer un troisième mandat. Paul Kagame sera-t-il exemplaire en respectant l’article 98 qui souligne que le Président est le garant de la Constitution et, chemin faisant, veillera-t-il à la conformité et à la pérennisation de cette Loi Fondamentale ? Le Général Major Paul Kagame est-il la seule et unique personne capable d’exercer la Magistrature suprême au sein de sa famille politique ? Forte de ses ressources en hommes politiques et idéologues, il serait étonnant qu’elle ne se soit pas encore penchée sur la question.
De manière concrète, comment les partis politiques d’opposition comptent-ils jouer leur rôle de force d’alternance durant ces trois années à venir ? Avec quel projet capable de reconstruire l’unité et une véritable réconciliation? Quels sont les voies et moyens pour mener à bien ce projet ? Le principe et la logique de ce monde ne changeront pas : « le droit s’arrache, ne se donne pas ». Il est vrai qu’à plusieurs reprises, elle a interpellé le chef de l’Etat rwandais pour lui faire part de ses doléances. Elle a, maintes fois, alerté la communauté internationale sur le sort des prisonniers politiques et sur le verrouillage de l’espace politique par le régime actuel, ce que dément formellement le concerné. Aux yeux de la population, ce jeu politique entre les deux acteurs paraît stérile.
Comment sortir du flou et éviter le danger ?
Très peu de gens sont capables de décrire la situation qui prévaudra en 2017 relativement aux élections présidentielles. Les leaders politiques eux-mêmes n’y voient pas assez clair. Le suspense reste entier sur la décision du Président Kagame. Certains leaders politiques en exil comptent participer au scrutin mais en imposent des conditions préalables. Le régime laisse entendre qu’ils n’ont qu’à rentrer et faire inscrire leurs partis. Ces derniers ne cachent pas leur déception en donnant des exemples de partis qui attendent leur inscription depuis plusieurs années sans réponse. La méfiance et la peur de l’autre sont palpables. Kigali n’a jamais caché qu’il se méfie que certains partis en exil disposeraient de combattants et que le risque zéro d’une attaque armée n’existait pas. Voilà ce qui en effraie plus d’un. Cependant, il est possible d’éviter le danger. Il suffit d’un minimum de sens de responsabilité. Il ne serait pas convenable de léguer les conflits non résolus aux générations futures. Si le coût des solutions et d’un meilleur avenir s’appelle « dialogue et concessions mutuelles», il est plus sage de le payer dès maintenant.
Est-ce que le président Kagame se prépare à une sortie honorable, ou tout simplement il se penche sur les stratégies visant à rester au Village Urugwiro ? Son parti, le FPR (Front Patriotique Rwandais) est-il capable de présenter quelqu’un d’autre en 2017 ? Quel serait l’intérêt de vouloir choisir la même voie que Robert Mugabe (qui semble vouloir être président à vie), Yoweri Museveni, Hosni Mubarak, Blaise Compaoré, Mouamar Khadafi et bien d’autres qui ne jouissent pas d’une bonne image dans les annales de l’Histoire ? Pourquoi éviter de suivre la voie de la réussite, de l’espoir et de la paix, comme l’ont fait Nelson Mandela, Julius Nyerere, Léopold S. Senghor et d’autres Chefs d’Etat qui se sont distingués par leur exemplarité. Ces présidents, bien que populaires, bien que faisant l’unanimité pour la bonne gouvernance dans leurs pays respectifs, ils ont quitté le pouvoir de leur propre volonté. Le président Kagame a encore cette bonne carte entre ses mains.
Dans une interview accordée à la chaine américaine CNN, le 16 septembre 2010, Paul Kagame qui venait d’être réélu pour un 2ème septennat, déclara qu’il n’avait pas l’intention de violer ni réviser l’actuelle Constitution pour se maintenir au pouvoir à l’issue de son 2ème mandat. Si jamais, il ne tenait pas sa parole, l’ironie du sort serait également son slogan électoral de 2010 « Imvugo ni yo ngiro », ce qui signifie joindre l’acte à la parole.
Encore 3 ans pour prouver le véritable patriotisme
Le patriotisme ce n’est pas se battre pour conquérir le pouvoir. Ce n’est pas non plus crier sur tous les toits du monde entier qu’on aime son pays. Le véritable patriotisme est de prouver par les actes, qu’on œuvre pour l’intérêt de toute la nation. Pour ce faire, il faut avoir un esprit de vision et de valeurs profondes. Un Chef d’Etat ne peut privilégier l’intérêt de la nation que quand il est conscient qu’il exerce le pouvoir non pas en son nom, mais au nom du peuple. De ce fait, il doit lui rendre compte de son action et surtout il se met à son écoute. Cela suppose également, qu’on se soumette à la volonté de ce peuple qui, le moment venu, disposant du droit de vote, peut passer ce pouvoir à celui qui présente le meilleur projet du pays. Le patriotisme c’est aussi avoir le courage de céder la place aux autres quand l’alternance est une meilleure solution ou quand les circonstances l’exigent.
Comment rendre fructueuses ces 3 années à venir?
Le plus grand problème en politique, ce n’est pas d’avoir des conflits auxquels il faut faire face. Le plus grand danger est de vouloir résoudre un problème par la violence envers ceux qui ne partagent pas la même vision. En 1994, le régime déchu qui s’est tristement illustré dans ce sens, l’a appris à ses dépens. On ne le dira jamais assez, l’histoire doit servir de bonne leçon à tous. Il n’est pas normal que les mêmes erreurs se répètent. On ne peut pas tout faire dans 3 ans mais on peut enclencher une lumière d’espoir dans les esprits de ses concitoyens. Cela pourrait se traduire par la volonté politique à vouloir régler les problèmes une fois pour toutes. Le traitement et le positionnement du président Paul Kagame vis-à-vis des problèmes actuels marqueront le tournant historique au Rwanda. Les trois années à venir sont cruciales parce qu’elles coïncident avec la fin du 2ème mandat mais aussi elles coïncident avec ce qui ressemble à un nouveau cycle.
Pendant plus de 50 ans, les Rwandais ont traversé des cycles infernaux. A l’heure actuelle, il doit y avoir des femmes, des hommes intellectuels, raisonnables et sages, que ce soit au sein du parti au pouvoir, le FPR et les « partis satellites », que ce soit au sein des partis d’Opposition ou bien même au sein de la société civile. D’un côté, les leaders politiques pourraient clarifier les voies et moyens pacifiques pour un mode de gouvernance permettant à tout citoyen de vivre dignement et paisiblement. De l’autre, la société civile ne pourrait rester les bras croisés sans rien proposer. Tout pourrait être réglé sans recourir à la force, et comme disait le Rédacteur en Chef et fondateur du journal l’Humanité, Jean Jaurès : «Le courage, ce n’est pas de laisser aux mains de la force la solution des conflits que la raison peut résoudre».
Jean-Claude Mulindahabi