10/04/2021, par Tharcisse Semana
Politique et diplomatie internationale. La France, 10 ans après de superficielles excuses de Sarkozy, vient de reconnaître à nouveau ses responsabilités dans le «génocide des tutsi» au Rwanda, à travers le fameux «rapport Vicent Duclert». Mais curieusement, elle réfute catégoriquement l’accusation de Kigali selon laquelle elle s’est impliquée dans la préparation et l’exécution de ce «génocide». Est-ce cet aveu – confession des péchés par omission et non pas par action – va-t-il pouvoir fléchir le régime de Kigali pour l’exonérer des réparations [matérielles]? S’interroge l’ancien premier ministre rwandais, Faustin Twagiramungu.
Au cours de notre interview exclusive, cet homme politique qualifie le « rapport Vincent Duclert » d’absurde et de manque de contribution à la vérité de la part de Paris.
Propos recueillis par Tharcisse Semana.
Interview exclusive. Politique et diplomatie.
Umunyamakuru: Sur votre face twitter vous qualifie le «rapport Vicent Duclert» d’une absurde contrition et d’une occasion manquée de la France pour contribuer à la vérité! Vous allez même très loin en affirmant que cette «absurde contrition» de la France exacerbe la souffrance des victimes et renforce le régime criminel de Paul Kagame. Pourriez-vous donner plus d’éclaircissements, expliciter vos idées et préciser votre pensée ?
Faustin Twagiramungu: Oui, oui… Ce serait une analyse profonde en ce qui concerne nos rapports entre nos prétendus – comment dirais-je – spécialistes de l’Afrique et son histoire, plus précisément l’histoire de notre pays le Rwanda. Dommage que tout ce qui est écrit de notre histoire proviennent des documents des pays qui prétendent avoir soutenu le Rwanda pendant ce « génocide » sans devoir interroger les vrais acteurs ; c’est-à-dire nous qui formons le peuple rwandais et plus particulièrement nous qui vivons encore et savons ce qui s’est passé au Rwanda pour dire la vérité. Ce qui est écrit dans le prétendu rapport est incomplet et ne donne aucun résultat attendu au peuple rwandais. Le «génocide tutsi» est un «génocide» plutôt politique qu’accidentel, [je ne sais quoi….], de circonstance ou alors tout simplement un crime historique et de circonstance.
Les Rwandais n’ont jamais planifié le «génocide tutsi». Mais au contraire – je crois que – sous le régime Habyarimana, les tutsi étaient à l’aise, que ce soit sur le plan politique, social et économique. Personne n’avait intérêt, pendant cette période-là, d’exterminer les Tutsi. Raison pour laquelle je qualifierais ce rapport d’absurde, tant sur les chiffres présentés et même sur la description. Si la France voudrait être appréciée par Kagame ou alors voudrait une certaine réconciliation [diplomatique avec Kigali] afin qu’elle ait accès à ce que le président ait appelé le bassin du Congo, alors il faut agir autrement au lieu de faire plaisir à Paul Kagame qui, lui-même, est la source principale de ce «génocide».
À mes souvenirs, si je ne me trompe, Monsieur Macron, lui-même, aurait dit, je cite : «Nous aussi nous devons avoir accès au bassin du Congo». Je vous invite donc à aller vérifier si je mens. Le président Macron agit dans la même logique que son prédécesseur, Nicolas Sarkozy qui, sans aucun retenu ni honte, ose dire clairement que, pour pouvoir mettre fin aux violences qui sévissent à l’Est de la RDC, il faut absolument faire du «partage» de l’espace et des «richesses naturelles», entre Kigali et Kinshasa. Une telle idée ou proposition – «l’exploitation en commun par la RDC et le Rwanda des richesses du Nord-Kivu» – ne vous montre pas un plan du néo-colonialisme caché derrière ? Lisez les archives du journal Le Monde, dans son édition du 18 janvier 2009. Vous trouvez ça légitime ? Des maîtres qui pensent pour les noirs ! N’est-ce pas du néocolonialisme et du partage de l’Afrique qui continue. C’est vraiment incroyable et horrible qu’il y ait encore au 21ème siècle les gens, comme Monsieur Sarkozy, qui se substituent en maîtres-penseurs pour les Noirs!
Voilà quelle bourgerie [NDRL :”Droit seigneurial”] – ma façon de voir les choses; mon interprétation de ce rapport – que je trouve, en tout cas, adéquate et sans en abuser.
Umunyamakuru: Dans ce que vous venez de dire vous relevez que ce rapport est incomplet. C’est un aveu que vous partagez avec la Ministre de la défense, Mme Florence Parly qui, elle aussi, le confesse. Dans sa lettre adressée à Monsieur Jean Claude Laforcade, Général de corps de l’armée, elle qualifie ce «rapport Duclert» d’«un travail exhaustif et inédit» mais aussi d’«une œuvre non encore définitive». Elle encourage quiconque voudrait savoir la vérité sur ce qui s’est réellement passé au Rwanda à consulter et analyser d’autres archives étrangères, américaines, belges, ougandaises, britanniques ou rwandaises. C’est ça que vous attendiez de ce rapport ou attendez encore pour ceux qui s’intéressent de la vérité de ce qui s’est passé au Rwanda?
Faustin Twagiramungu : Non non non…, pas du tout! Je crois que c’est juste une mentalité des Occidentaux, de toujours prendre les Africains pour les idiots ou alors pour les hommes colonisés mentalement et éternellement. Les Rwandais intellectuels existent. Ils ont faits des études universitaires en France, en Belgique et certains d’entre eux les ont faites même aux Etats-Unis. Autrement dit, nous avons des intellectuels, des historiens, des politiciens – et que sais-je encore – qui connaissent mieux le Rwanda et peuvent analyser adéquatement ce qui s’y est réellement passé que les Occidentaux. Il n’appartient donc pas aux métropoles des anciennes capitales de l’Occident de nous imposer leur vision sur notre propre histoire. Prétendre connaître notre histoire plus que nous c’est non seulement un mépris mais aussi et surtout une injure grave ; un néocolonialisme déshumanisant. Nous connaissons notre peuple, nous connaissons notre pays et nous maîtrisons mieux les événements qui s’y sont déroulés. Comment ça soit que Paris décide pour nous, ou juge sur ce qui s’est passé à Kigali que nous-mêmes ? Incompréhensible ! Un des exemples parmi tant d’autres qui montre que ces métropoles nous fabriquent des «Histoires farfelues» c’est le chiffre de 800.000 des victimes de ce fameux «génocide des tutsi» qu’on répète souvent sans en avoir même pas fait des recherches. Comme je vous l’ai démontré dernièrement, preuves à l’appui, en 1994, au Rwanda, les Tutsi n’atteignaient pas ces chiffres farfelus créés par des métropoles capitales de l’Occident. Lire notre article ci-après à ce sujet. Rwanda. «Génocide» : Les chiffres qui fâchent…
Aujourd’hui la commission nationale de lutte contre le «génocide» (CNLG) prétend dire qu’un million six cent soixante-deux mille Tutsi ont été tués par leurs voisins Hutu. «Génocide des tutsi», disent-ils. Un gros mensonge qui, malheureusement, risque d’être pris pour une vérité par ces métropoles qui soutiennent le criminel Paul Kagame. Nous sommes encore vivants, nous réfléchissons et continuerons de témoigner de ce qui s’est passé dans notre pays. Que ces archives viennent des Etats-Unis d’Amérique, de l’Inde, de Chine, de Russie et je ne sais où encore…, nous nous en affichons. Nous savons et sommes témoins de ce qui s’est passé dans notre pays. Nous devons nous-même interpréter notre histoire. Que ça soit donc ces archives qui viennent des Etats-Unis, de la France, de la Belgique et je ne sais pas encore d’où, qu’on veut utiliser pour pouvoir aller piller notre pays voisins, le Congo, ça n’a pas beaucoup d’importance ; ce qui compte c’est le témoignage des Rwandais eux-mêmes. Assez c’est assez. Aujourd’hui, il est temps de s’émanciper de cette histoire coloniale qui nous a assez déshumanisé. Comprenez-vous donc bien pourquoi je m’insurge contre ces rapports de ces prétendus experts de l’Afrique, en l’occurrence de l’histoire du Rwanda et de ce «génocide des tutsi».
Umunyamakuru: À vous entendre, vous digérez mal l’emploi du terme «génocide des tutsi» et vous êtes totalement opposé sur les conclusions du «rapport Duclert». Comment alors, en tant que témoin oculaire, qualifiez-vous ce qui s’est passé au Rwanda ?
Faustin Twagiramungu: Écoutez, les Rwandais ne sont pas des Nazis ! Des Nazis avaient axé leur idéologie sur la conquête des autres pays et sur l’extermination des Juifs. Chez nous ça n’a pas été le cas. Les Hutu n’ont pas agressé qui que ce soit ; ils n’ont pas voulu conquérir le Congo ou s’imposer à d’autres citoyens de leur propre pays. C’est vraiment différent [NDLR, des Nazis].
D’abord, vous devez apprendre [NDLR, de mon témoignage] ceci : en 1963, ce qu’on appelle les «inyenzi» – [NDLR : milices des anciens partisans de la monarchie destituée en 1961, éparpillées dans les pays environnants du Rwanda] – sont arrivés à la porte de Kigali, à 12 kilomètres seulement. J’étais à Kigali et je m’en souviens très bien. C’était entre le 21 et le 22 décembre si j’ai encore la bonne mémoire. Au-delà de Kigali, dans la région dénommée Bufundu [NDLR, partie sud du Rwanda, dans l’ancienne préfecture de Gikongoro] ils avaient établi une administration et la réaction [NDLR, du gouvernement Kayibanda fraichement mis en place] ne les a pas freinées. Il y a eu ceux qui ont été tués au Bufundu. Et, à Kigali il y a eu beaucoup d’arrestations dont certains politiciens du parti pro-monarchie, Rassemblement Démocratique Rwandais ; RADER en sigle. J’étais encore un jeune étudiant au Groupe scolaire de Butare. Un certain Denis-Gilles Vuillemin – [NDLR, citoyen de Neuchâtel, en Suisse] – qui enseignait à Butare, au Rwanda, sous l’égide de l’UNESCO, a été la première personne qui a déclaré et propagé faussement en Occident et ailleurs qu’il eut au Rwanda le génocide contre les Tutsi. Or, il n’y en avait pas.
Certes, le pays, devenu récemment indépendant, était en proie aux violences – suite aux attaques répétitives des Inyenzi, des milices nostalgiques de la monarchie destituée en 1961. Je sais très bien qu’avec sa défense légitime contre ces attaques, notamment en décembre 1963, plusieurs personnes – Hutu, Twa et Tutsi, tous confondus – ont été décimées mais il n’y avait vraiment aucune raison de mettre ça sur le compte du nouveau régime républicain de Kayibanda ni à trop crier «génocide».
Les chiffres de 8 000 et 12 000 hommes, femmes et enfants massacrés, ont été avancés. Ce grotesque mensonge a été diffusé dans le journal français, Le Monde, dans son édition du 4 février 1964. Le gouvernent de l’époque a formellement démenti cette désinformation montrant bel et bien qu’il n’y a pas eu un génocide. Ce mot «génocide», inventé en 1948, n’était pas connu et c’était la première fois que je l’entendais. Il est devenu aujourd’hui un mot politique. Pour les tutsi évolués à l’extérieur au Rwanda qui sont actuellement au pouvoir, c’est une arme efficace pour faire taire ceux qui ne partagent pas leur idéologie, leur vision du monde ou n’entendent pas comme eux la gestion de la «chose publique». [NDLR, il est à rappeler que l’expression «chose publique» est la traduction en français du latin res publicae].
Donc, le fait de croire qu’on peut prendre le pouvoir en s’appuyant sur les analyses des Occidentaux qui ne connaissent pas notre histoire et qui méprisent – je dois le dire – les Africains […] est inacceptable. En ma qualité d’homme politique et d’observateur de l’histoire, je dois vous le dire, je sais ce qui s’est passé dans mon pays et je suis de plus près ce qui s’y passe encore actuellement. Je suis un homme engagé pour défendre mon peuple. Je ne suis pas au même degré de ces mercenaires ou autres qui écrivent des articles de mensonges pour impressionner le monde. Il n’y a pas eu donc au Rwanda – je le dis à haute voix et je le répéterai encore – le «génocide des tutsi»; il y a eu plutôt des massacres qui ont été organisés par le Front patriotique rwandais (FPR), actuellement au pouvoir.
Umunyamakuru: À part ce substantif de «massacres», comment alors qualifiez-vous encore ce qu’a connu le Rwanda ?
Faustin Twagiramungu: Écoutez, s’il y a vraiment un impératif – ce que je ne trouve pas – d’employer absolument ce mot «génocide», renchéri par les Occidentaux et leurs mercenaires au pouvoir à Kigali, j’appellerais ou qualifierais personnellement ce qui s’est passé au Rwanda de «génocide rwandais». Un point, un trait. Car, les Rwandais ont été tués sans aucune distinction. La folie meurtrière qu’a connue le Rwanda n’a épargné personne. Il n’y a aucune – [de ce que vous appelez] – ethnie Hutu, Twa ou Tutsi qui n’a pas été touchée.
Umunyamakuru: En réaction sur vos propos sur tweeter, vous qualifiez les conclusions du «rapport Duclert» d’«absurde contrition» et d’«occasion manquée» de la France pour contribuer à la vérité. Vous nous laissez même entendre que le régime de Paul Kagame est soutenu par les forces souterraines du néocolonialisme, chose étonnante au 21ème siècle à l’Elisée. Vous puisez dans votre culture générale et empruntez le langage religieux et ésotérique – absurde contrition et forces souterraines du néocolonialisme – pour exprimer votre désaccord et votre stupéfaction des démarches et les conclusions de ce rapport dit «rapport Duclert». Pourquoi ces références notionnelles, politico-anthropologiques religieuses ?
Faustin Twagiramungu: Ô mon Dieu ! Vous essayez de m’enfoncer encore dans ces histoires de colonisation et de “tagunation” ! Je ne répondrai franchement pas à ces questions… Depuis 1491, l’Afrique a connu une situation horrible et qui continue toujours de l’être : l’esclavage, la colonisation, le néocolonialisme qui s’installe aujourd’hui avec le «capitalisme sauvage» qui détruit notre continent. Avec tout cela, qu’est-ce que vous voulez que les Français m’apprennent de la chrétienté ! «Je crois en Dieu créateur du ciel et de la terre» – [Ndlr, le crédo catholique abrégé cité par Faustin Twagiramungu] – mais je ne crois plus aujourd’hui au christianisme dévalué.
Umunyamakuru: Dans vos propos, vous allez même un peu plus loin. Vous semblez, à mon avis, emprunter ce langage religieux voire même ésotérique pour pointer du doigt les dessous de la France d’aujourd’hui, jadis vantée d’être la «fille aînée de l’Église». Est-ce que je me trompe ?
Faustin Twagiramungu: Ô Écoutez, je demande rien à la France. Je ne plaide qu’à mon peuple qui a beaucoup souffert et souffre encore aujourd’hui suite au dictateur sanguinaire Paul Kagame et son régime, FPR, que la France encense au lieu de l’arrêter et de le traduire en justice. J’ai exprimé mes pensées et mes sentiments du fond du cœur comme je l’entends. Je n’ai pas le temps d’aller dans toutes ces considérations anthropologique-politico-religieuses dont vous relevez.
Umunyamakuru: Ce «rapport Duclert» passe en revue les relations diplomatiques et la coopération militaire entre le «régime François Mitterrand» et le «régime Juvénal Habyarimana» et qualifie ce dernier de «régime raciste, corrompu et violent». Comment, vous qui l’avez connu, et occupé différents postes d’administration sous ce régime avant de bifurquer dans l’opposition, trouvez-vous ces qualifications ?
Faustin Twagiramungu: Je précise d’abord et souligne encore une fois que sous le régime Habyarimana j’ai travaillé non pas comme politicien mais comme un agent de l’administration dans le secteur privé. Que cela soit donc bien noté et retenu.
Je reconnais une chose : après que Habyarimana ait fait le coup d’Etat, il a favorisé beaucoup les Tutsi, tant de l’intérieur que ceux de l’extérieur. Parmi eux il y avait des hommes d’affaires dont je ne voudrais pas citer les noms [vous les connaissez, vous tous]. Alors je ne vois pas comment les gens s’autoriser à dire que c’était un régime raciste. C’est vraiment incroyable ! Incroyable en lettres majuscules, en lettres capitales ! Un grotesque mensonge !
Les Tutsi clament à haute voix qu’ils n’ont pas été bien entretenus, alors qu’ils étaient privilégiés, surtout dans les domaines importants dont notamment celui du commerce. Ce régime Habyarimana qu’on diabolise aujourd’hui nous l’avons connu et vécu. Il n’y a rien à lui reprocher à ce propos. Il a favorisé les Tutsi de façon même qu’on peut même y voir les explications de son coup d’Etat. Qualifier le régime Habyarimana de «régime raciste, corrompu et violent» c’est vraiment honteux et inadmissible. Si on pousse le raisonnement un peu plus loin on peut se demander pourquoi de telles qualifications ne peuvent pas être retenues, en France, pour le régime Valéry Giscard d’Estaing ou d’autres ? Pourquoi alors Mitterrand – si son régime n’est pas raciste, n’est pas corrompu ni non plus violent – accepterait de collaborer ou soutenir un «régime raciste, corrompu et violent» de Habyarimana ? J’aimerais qu’on me l’explique…. En tout cas, pour moi, c’est une injure à la personne de François Mitterrand qui fût un grand chef d’Etat. Il y a là une extrême exagération mais surtout un grand mépris de l’homme noir. Cela étant, s’il y a lieu à qualifier ce régime Habyarimana de raciste ou de violent, je dirai dans ce cas qu’il l’a exercé contre les Hutu plutôt que contre les Tutsi. Car en 1973, ce ne sont pas des Tutsi qui ont été violentés et assassinés mais plutôt les Hutu. Et, étonnamment, ces prétendus experts de l’histoire du Rwanda se focalisent sur la question des Tutsi et ne disent rien sur les atrocités que les Hutu et les Twa ont vécu et vivent encore aujourd’hui. C’est seulement et exclusivement ces assassinats politiques des Hutu et les souffrances que leurs familles ont péniblement enduré que je pourrais attribuer au régime Habyarimana comme actes indécents et inadmissibles de violence.
Umunyamakuru: Le rapport «Mutsinzi» a rendu public les résultats de son enquête sur l’attentat contre l’avion de feu président Juvénal Habyarimana, le 11 janvier 2010. Le même rapport affirme que le colonel Théoneste Bagosora est la «cheville ouvrière» ou mieux encore «la colonne vertébrale » de cet acte ignoble de l’attentat de 1994 contre l’avion de feu président Juvénal Habyarimana que beaucoup présentent comme le déclencheur du «génocide des Tutsi» au Rwanda. Le «rapport Duclert», quant à lui, semble concocter implicitement les prémices logiques de cette thèse – de préparation du « génocide des Tutsi » – et y baser son analyse alors qu’elle a été totalement écartée par le TPIR. Quelle est votre opinion ou vos sentiments là-dessus ?
Faustin Twagiramungu: Etonnant ! La guerre d’octobre qui a amené le FPR au pouvoir via les parodies de négociation de paix à Arusha, en Tanzanie, c’était une conquête des fils des anciens réfugiés rwandais, engagés dans l’armée ougandaise. […] Là, nous n’avons pas été perspicaces, éveillés ou clairvoyants – si vous voulez – car il ne s’agissait pas à vrai dire du retour des réfugiés, mais plutôt une conquête militaire ougandaise organisée par leurs patrons du néocolonialisme. Pour répondre directement à votre question, faire croire au monde que c’est Monsieur Bagosora qui est l’acteur principal de ce qui s’est passé au Rwanda – [Ndlr, planification et organisation du génocide ou orchestration de l’attentat du président Habyarimana] – est un pur mensonge. Chacun peut interpréter les humeurs des gens pendant un moment ou dissimuler la vérité et propager le mensonge mais la vérité finit toujours par éclater en plein jour.
Umunyamakuru: Hormis les différentes dénominations sur ce qui s’est passé au Rwanda et qui sont politiquement exploitées par le vainqueur, quelle leçon peut-on tirer du TPIR et d’autres tribunaux internationaux, en général ?
Faustin Twagiramungu: Écoutez, moi je n’ai jamais cru à ce tribunal depuis sa création. Ce tribunal a été institué par qui ? C’est Kagame et ses parrains anglo-saxons. Et l’illustration en est qu’aucun membre du FPR n’ait comparu devant ce tribunal alors qu’à sa création on nous faisait croire qu’il jugera tous les criminels sans distinction. Et voilà aujourd’hui son tableau. Un tableau qui, pour moi, est très sombre. Car, à part les anciens membres du régime Habyarimana, le tribunal n’a jamais jugé les éléments du FPR qui, pourtant, portent une lourde responsabilité dans les massacres et assassinats, dans les violences indicibles et de tout ce qui s’est passé au Rwanda et en République démocratique du Congo. Ces violences et des massacres en masse continuent encore aujourd’hui à l’heure où je vous parle, que ça soit à l’intérieur du Rwanda et au Congo ! Que voulez-vous que je vous dise encore…
Umunyamakuru: Au nom du Gouvernement, le premier ministre Dismas Nsengiyaremye, appartenant à votre famille politique d’alors (MDR), aurait signé discrètement avec le président du FPR, Alexis Kanyarengwe, pour le départ du Rwanda de l’armée française. Ce «rapport Duclert» n’y fait aucune allusion et pourtant c’est quelque chose de hautement important dans la compréhension de ce dossier sur le «génocide» au Rwanda. Qu’en dites-vous ? N’avez-vous pas favorisé ou plutôt soutenu cette conquête militaire ougandaise contre laquelle aujourd’hui vous vous insurgez ?
Faustin Twagiramungu: Cette question que vous posez est très importante et me rappelle beaucoup de choses. Le premier ministre, Dismas Nsengiyaremye, [Ndlr, entre le 2 avril 1992 et le 18 juillet 1993] a effectivement signé le départ du territoire rwandais de l’armée française. Mais je dois mettre ça sous la manipulation du FPR pour la prise du pouvoir. S’agissant donc de ce Monsieur Dismas Nsengiyaremye, il a été manipulé et a effectivement rencontré discrètement le président du FPR, Alexis Kanyarengwe, à Dar-es-Salaam, en Tanzanie. Ce qu’il a fait, il l’a fait à l’insu de son parti [Ndlr, Mouvement démocratique républicain, MDR], à l’insu du président de la République et du gouvernement [Ndlr, de coalition des partis politiques]. Cela est un fait et personne ne peut le contester. Cependant, au niveau de notre parti nous l’avons sanctionné ; nous l’avons donc blâmé car ce qu’il a fait nous l’avons jugé d’«indiscipline» et d’«intolérable». De ce fait, il a été immédiatement limogé de ses fonctions et l’avons fait en attente avec le président de la République. Et, par la suite, nous avons nommé à sa place la regrettée Mme Agathe Uwilingiyimana. Voilà comment la scène s’est terminée.
Umunyamakuru: Une autre question subsidiaire. Au niveau du parti vous avez sanctionné Monsieur le premier ministre, Dismas Nsengiyaremye, en l’excluant de votre famille politique et en exigeant son limogeage. Le fait même de rendre invalide sa signature vous exonère vraiment pour autant de vos responsabilités?
Faustin Twagiramungu: Écoutez, nous, au niveau de notre famille politique, nous avons fait ce qui était de notre devoir et nous n’allions pas aller nous immiscer dans la gestion interne de cette affaire des autres familles politiques.
Umunyamakuru: Votre argument est logique et acceptable. Mais… le fait de n’avoir pas exigé la révision de cette signature et interpeller le président de la République et d’autres partis politiques sur ce sujet n’est-il pas effectivement un manque de perspicacité de la lecture des enjeux que représentait le départ précipité de l’armée française ?
Faustin Twagiramungu: Enfin, écoutez… ceux qui ont le document [Ndlr, la lettre du premier ministre, Dismas Nsengiyaremye, signant le départ de l’armée française] n’ont pas été informés de ce qui s’était passé et ceux qui l’ont lu n’ont rien compris de ce que cela signifiait. Que voulez-vous que j’ajoute encore ! Nous, nous avons pris nos responsabilités vis-à-vis de notre membre même si nous n’avons pas été très loin à imposer ou demander d’autres mesures vis-à-vis de cette erreur politique grave que Monsieur Nsengiyaremye n’y croyait pas et que les autres – peut-être – ont minimisée.
Umunyamakuru: Il y a eu alors un partage d’«irresponsabilité», dirait-on.
Faustin Twagiramungu: Nous, nous avons décidé de blâmer Dismas Nsengiyaremye et de demander son limogeage immédiate et ça a été fait. Au niveau du parti, nous avons pris une décision que j’estime adéquate et ne me demandez pas ce qui est de la responsabilité des autres. Nous n’allions pas agir autrement. Et les autres partis, il ne faut pas les condamner. Car, ça a été discuté et le Monsieur en question a été limogé…
Umunyamakuru: Vous êtes homme politique mais aussi détenteur ou mieux encore “observateur” privilégié de l’histoire du Rwanda. Quand vous voyez tous ces rapports produits par les étrangers, occidentaux en l’occurrence, sur le Rwanda et sur l’Afrique dans l’ensemble, qu-est-ce que cela vous inspire ?
Faustin Twagiramungu: Je ne suis pas de la culture française, je suis de la culture rwandaise [Ndlr, une culture d’oralité plus que d’écriture]. Par contre il y a mes compatriotes qui ont fait des études universitaires en France, en Belgique, aux Etats-Unis ou ailleurs, qui peuvent avoir appris la philosophie, l’anthropologie et lu les écrits des philosophes des Lumières et ce qui a été écrit sur des hommes politiques français comme Napoléon, De Gaulle, bref, qui maîtrisent mieux que moi les exigences de l’écriture. Nos intellectuels devraient faire leur devoir d’écrire l’histoire de leur peuple et de l’écrire correctement. Malheureusement c’est un devoir auquel nos dirigeants n’ont pas mis et ne mettent pas encore aujourd’hui l’accent.
Umunyamakuru: Ce «rapport Duclert» sort juste au point nommé du 27ème anniveraisre de la commémoration du «génocide des tutsi» dont vous contestez la dénomination et préférez plutôt «génocide rwandais». Quel message donneriez-vous à cette occasion ?
Faustin Twagiramungu: Je voudrais, avant de répondre à votre question, en faire une petite dégression ou plutôt une observation. Je crois qu’il y a une «fainéantise mentale» – paresse intellectuelle – chez nous. Et quand je dis chez nous je ne m’exclue pas de ce faisceau d’intellectuels rwandais. Tous ces rapports ou recherches produits par ces prétendus experts sur notre pays, le Rwanda, devraient être analysés et examinés minutieusement, critiqués, nuancés ou contredits même s’il le faut. Nos intellectuels qui les lisent malheureusement n’en donnent pas leur point de vue. Pire encore quand ils les lisent, ils n’en communiquent pas aux paysans quel en est le contenu. Les pauvres paysans sont livrés à eux-mêmes et ne sont pas informé de ce que ces rapports contiennent. Il faudrait donc que nos intellectuels aient le courage de dépouiller et analyser rigoureusement ces rapports ou recherches et en informer la population de ce qu’ils contiennent réellement et les enjeux qu’ils représentent pour l’histoire et le fonctionnement des institutions du pays. Là où ils sont disséminés au monde, en Occident en particulier, il faudrait qu’ils s’unissent ; qu’ils créent des cercles d’échanges ou des réseaux de travail de fond pour corriger les erreurs du colonialisme et contrecarrer le néocolonialisme qui est aujourd’hui en marche. Ça c’est un devoir de citoyen auquel moi aussi je ne dois pas me soustraire.
Mon message envers les Occidentaux est très court, simple et clair : nous laisser tranquille nous diriger nous-mêmes, nous respecter comme étant des êtres humains doués d’intelligence comme eux et éviter de nous imposer leur vision du monde. En plus de cela, qu’ils cessent d’exporter leur racisme en Afrique, au Rwanda en particulier et renoncer à leur néocolonialisme puant. Et, mon dernier message s’adresse à la jeunesse. Car j’en ai vraiment profondément confiance en elle. C’est nos futurs dirigeants, politiciens, chercheurs ou intellectuels ; bref, les éclaireurs de demain. L’avenir du pays est dans la main des jeunes et je ne fais que les recommander de combattre avec détermination toute injustice d’où qu’elle vienne et défendre leur droit et l’honneur du pays ; bref, d’être fermes et vigilants vis-à-vis de quiconque voudrait les manipuler, les exploiter, les diviser ou les rendre esclaves dans leur pays.
Umunyamakuru: Monsieur Faustin Twagiramungu, c’est un honneur de nous entretenir avec vous et vous remercie d’avoir accepté de répondre à nos questions.
Faustin Twagiramungu: C’est moi qui vous remercie.