Par Philibert Muzima
Depuis un certain temps, je lis avec intérêt le compte rendu du conseil hebdomadaire des ministres du Rwanda. Il est rare que je n’y trouve pas un passage ou le gouvernement adopte un projet de prêt de plusieurs millions de dollars. Il faut ajouter à cela l’émission des bons du trésor (une autre forme de prêt) d’une valeur de plusieurs milliards de francs rwandais par la Banque Nationale du Rwanda (BNR).
A titre d’exemple en février 2014, la Banque Nationale du Rwanda émettait des bons du trésor d’une valeur de 12,5 milliards de frws. En novembre de la même année, l’institution monétaire nationale émettait d’autres bons pour 15 milliard de frws. En mai 2015, elle en émit pour 10 milliards de frws et, en ce mois de novembre 2015, la BNR vient d’émettre encore des bons pour un autre 15 milliards de frws. Plus de 60 milliards en une année!
La dette publique du Rwanda connait une croissance exponentielle. De 20.90 % du PIB en 2008, elle est passée à 31.4 % du PIB en 2014. En argent, seule la dette extérieure est passée de 1,572 milliard de dollars à la fin 2003 à 2,295 milliards de dollars en 2013. Elle était d’environ un milliard de dollars en 1994. Notons tout de suite qu’après le génocide, la dette publique du Rwanda avait été quasiment toute effacée.
Je ne m’inquiète pas de l’endettement en soi. L’économie tant nationale qu’individuelle repose sur les capitaux et les moyens mis en œuvre pour cumuler ces capitaux. Ce qui m’inquiète le plus, dans le cas du Rwanda, c’est l’utilisation de ces prêts. Est-elle réellement utilisée dans la réduction de la pauvreté et dans la création de la richesse? Est-ce que la pauvreté a réellement été réduite de 5,8% durant les trois dernières années ou elle a plutôt augmenté de plus de 6% durant la même période comme le soutiennent les détracteurs du rapport de l’Institut National des Statistique du Rwanda NISR? La pauvreté diminue ou elle augmente? That is the question! Même Sir William Shakespeare trouverait la question intéressante.
Comment est-ce que le Rwanda utilise les fonds venant des dettes contractées ici et là, lesquelles la génération présente lèguera à la génération future? Le gouvernement du Rwanda se targue d’être un bon gestionnaire des fonds publics dont la plupart viennent des dettes intérieures et extérieures, bilatérales et multilatérales. Cependant, certains exemples du contraire devraient attirer notre attention et, en citoyens responsables, nous amener à poser des questions pertinentes à nos mandataires. Le cas de l’ambassade ou Haut-Commissariat de la République du Rwanda à Ottawa en est un qui montre un gaspillage éhonté et irresponsable.
Une représentation diplomatique…sans diplomate
Depuis plus de deux ans, l’ambassade du Rwanda au Canada n’a pas de titulaire. La dernière ambassadrice Edda Mukabagwiza est retournée au Rwanda en 2013 pour y être nommée Députée du FPR. Son poste d’Ambassadrice du Rwanda à Ottawa est vacant depuis ce moment-là. Le Secrétaire d’ambassade (premier ou deuxième, je n’en sais pas trop) Eric Rutsindintwarane a été rappelé/expulsé, mais pas encore remplacé. De mauvaises langues laissent croire qu’une remplaçante a été proposée mais vite refusée par le Canada. Cela reste à démontrer.
Le fait est que le poste est vacant depuis bientôt deux ans. Avec le départ d’un autre conseiller d’ambassade -Eugene Ngoga pour ne pas le nommer- tout aussi non remplacé, le Haut-Commissariat du Rwanda au Canada ne compte plus qu’un seul diplomate ou, pour être précis, une seule diplomate (Une Chargée d’Affaires ad interim), la nommée Shakilla K. Umutoni. Mais le hic est que cette dernière est en congé de maternité! Ainsi la boucle est bel et bien bouclée.
L’Ambassade du Rwanda à Ottawa est donc lors sans aucun diplomate. Pas un seul! Les bureaux du 294, Albert Street, suite 404 abritant l’ambassade sont devenus le domaine de la solitude! On dirait les locaux aménagés pour servir de lieux de deuil. On est en droit de se demander si nous sommes retournés aux temps où un poste restait vacant aussi longtemps que le légataire n’avait pas encore terminé ses études.
L’Ambassadrice Mukabagwiza n’a pas eu de remplaçant, disais-je. La maison qu’elle occupait au 152 Allanford Drive, Ottawa, est depuis lors sans locataire; un chauffeur d’ambassade y a érigé domicile pour éviter que le bâtiment ne soit squatté par des sans-abri. Le numéro de téléphone reste toujours actif, le chauffage et l’électricité payés. Par qui? Combien et pour quel usage?
Si l’on sait que cette maison a couté plus d’un demi-million de dollars au contribuable rwandais et que cette propriété risque d’être une perte totale, cela donne à penser à la fameuse bonne gestion des fonds publics dont on nous rabat les oreilles! Qu’est-ce qui empêche que la Chargée d’Affaires emménage dans cette résidence? Pourquoi le même contribuable rwandais continuerait à lui payer un loyer alors qu’une résidence déjà payée et disponible reste inoccupée?
La situation actuelle d’abandon de la résidence d’ambassade du Rwanda à Ottawa en rappelle une autre. En 2000, le gouvernement du Rwanda avait fermé son ambassade d’Ottawa. L’Ambassadeur de l’époque, Maître Laurent Nkongoli avait alors quitté la maison qui lui servait de résidence, Chemin d’Aylmer à Aylmer – propriété du Rwanda- qui est par la suite tombée en ruine, conséquence du froid et de multiples inondations. Une perte totale. Des centaines de milliers de dollars se sont envolés, quasiment jetés par la fenêtre.
Et si la même chose devait arriver à la nouvelle résidence d’ambassade? Quelle leçon aurions-nous tiré de la perte précédant? Devrons-nous confirmer, pour la nième fois, le triste constat de Bernard Show qui veut que « la seule leçon que l’on tire de l’histoire, c’est que l’on n’en tire aucune leçon.»?
Des employés désœuvrés
Pour éviter aux squatteurs d’investir les bureaux du Haut-Commissariat, une armée d’agents locaux font office de main d’œuvre tous travaux, sans rendre aucun service diplomatique ou consulaire. Ainsi des chauffeurs sont toujours à pied d’œuvre, mais les hivers succèdent aux étés et nos chauffeurs n’ont toujours aucun diplomate à convoyer! Des secrétaires, tant particulier- de qui diantre?- que de réception croulent sous les dossiers en attente de traitement et des signataires en attente de signatures. Il se fait que pour des affaires – comme les chèques de paye -, urgentes certes mais pas diplomatiques, Madame Umutoni est donc condamnée à alterner biberon et boulot, tétées et papiers en-tête. Cela ne laisse pas à la mère le soin de s’occuper entièrement de son bambin ni de profiter de son congé de maternité. Je m’inscris en faux contre ceux qui estiment qu’il n’y a rien d’anormal, qu’il en va ainsi des congés de maternité, à la rwandaise. Non, la femme rwandaise mérite mieux que ça, surtout au Canada!
Sous-traitance des services d’ambassade
Dans un pays où l’accès à l’information est quasi prohibé, où tout relève du secret d’État, c’est radio trottoir qui fait office de source d’information. Il en est ainsi de la rumeur qui veut que le Rwanda Development Board (RDB) a engagé un « chasseur d’investisseurs », payé à raison de 5 000$ par mois, nets d’impôt tant au Rwanda qu’au Canada, ou mieux encore, payé au noir ou sous la table comme on dit ici. Le « commissionnaire » de la RDB aurait été donc chargé de recruter au Canada, les hommes d’affaires canadiens et les intéresser à aller investir au Rwanda. Un travail plutôt relevant d’une mission diplomatique, d’un Attaché commercial. Pourquoi sous-traiter, au Canada, une responsabilité relevant d’un poste diplomatique? Un dédoublement ? Non. Pire. C’est une extravagance que le Rwanda n’aurait dû se permettre.
Lorsqu’ils étaient encore là, tous les diplomates se montraient frustrés par cet état de chose. Ils trouvaient qu’il s’agissait d’un travail qui leur incombait, convaincus aussi qu’il s’agissait d’un gaspillage d’argent. Le comble, ils doutaient de l’efficacité et de l’efficience de l’emploi par un non diplomate. C’était quoi l’achievement de ce « commissionnaire honoraire » dans sa quête d’investisseurs canadiens? Nos diplomates étaient unanimes pour dire qu’il n’y avait pas grand-chose. Mais, ils n’en pouvaient rien, il ne leur était pas redevable ! Résigné, l’un d’eux avait conclu notre entretien sur le sujet en ces termes: Uwo udahemba ntumuhana. Pouvait-il trouver meilleure expression du ras-le-bord ? J’en doute. Je doute également d’une chose : Mon interlocuteur aurait-il achevé sa conversion au FPR nouvelle formule ? S’il en était le cas, comment ne comprend-il pas ou ne croit-il encore à l’existence de l’univers parallèle? Pour terminer ce point sur une bonne note, juste dire que cette sous-traitance a enfin, pris fin !
Mais l’image du Rwanda dans tout ça?
Quel est le résultat du fonctionnement, ou mieux encore, du non fonctionnement de l’ambassade du Rwanda. Quelle est l’image du Rwanda au Canada dans ce contexte de gestion cahoteuse, de gaspillage, de cafouillage et de paralysie? Les faits, plus que les chiffres, parlent d’eux-mêmes. Dans son « Analyse trimestrielle des risques pays, Automne 2015 », Exportation et Développement Canada organisme canadien chargé de promouvoir les exportations et le commerce international mentionne ce qui suit à propos du Rwanda : « Malgré la stabilité du contexte sécuritaire, la nature extrêmement contrôlée du régime politique pourrait être source d’instabilité à long terme ». Partant, l’organisme gouvernemental note que les risques d’investir au Rwanda sont « élevés », ce qui n’est pas de nature à encourager les canadiens à faire affaire avec le Rwanda.
Inutile de conclure qu’à la lecture de cette analyse d’Exportation et Développement Canada qui juge les risques « élevés » de faire le commerce avec le Rwanda, très peu de canadiens répondent favorablement à l’invitation d’investir leurs capitaux au Rwanda. Ils trouveraient cela comme plonger la tête la première dans une piscine vide.
Pour une responsabilité citoyenne
Quant au triste sort de l’ambassade et de la vacance prolongée du poste d’ambassadeur, deux options sont sur la table : soit nommer un nouvel ambassadeur et combler les postes vacants, soit fermer cette représentation diplomatique et ainsi boucher ce gouffre financier qui ne rapporte rien au Rwanda.
On ne devra pas attendre à ce qu’un ressortissant rwandais s’autoproclame ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire du Rwanda près le Canada. Je m’imagine déjà prendre un congé sabbatique de mon emploi actuel pour travailler comme ambassadeur bénévole du Rwanda. Plénipotentiaire. Et surtout extraordinaire! C’est ça, être un citoyen responsable.
Pour ce qui est de la résidence d’ambassade, encore deux options: soit la vendre, soit lui trouver un locataire attitré. Mais, en attendant que Kigali sorte de sa très longue torpeur, j’invite pour samedi prochain la diaspora rwandaise d’Ottawa et d’ailleurs à un UMUGANDA EXTRAORDINAIRE au 152 Allanford Dr.
La corvée sera de désherber et débroussailler, épousseter et dépoussiérer les lieux. C’est aussi ça, être des citoyens responsables. Et oui, pour réparer les dégâts d’une gestion irresponsable et d’un gaspillage éhonté, il faut des citoyens responsables car, comme le dit notre voisin Murundi, « Ahari abagabo ntihagwa ibara.»
Par Philibert Muzima