Au départ, le Rwanda est un très beau pays avec un peuple digne, sympathique, et d’une hospitalité rare. Le seul et grand problème qui existe depuis longtemps, est d’avoir eu à la tête de l’Etat des leaders politiques mal inspirés, non visionnaires, qui n’ont pas réussi à pérenniser l’unité nationale, obnubilés par les intérêts égoïstes pouvant déboucher sur des conflits fratricides. Aujourd’hui, rien ne permet de dire que le régime actuel ait tiré de bonnes leçons de l’histoire récente. Le peuple rwandais vit dans la terreur, rongé par la douleur, obligé d’assister, avec impuissance et incompréhension, à la répression aveugle que ce régime a érigée en mode de gouvernement.
Le climat est tellement tendu que même la famille FPR, parti au pouvoir, n’est pas épargnée. Les dissidents
militaires et civils deviennent de plus en plus nombreux et ne le cachent plus même s’ils savent bien que ce désaccord leur attire les foudres du « calife». Dernièrement, un confrère relevait un constat qui n’est un secret pour personne dans ces termes : « une république qui torture et tue ses enfants, est une république malade ». Les femmes et les hommes sages ne doivent-ils pas réagir devant les dérives et les débordements des politiques ?
Depuis plusieurs mois, mes confères et moi avons mis en lumière le paysage sociopolitique du Rwanda, en relevant les points positifs et négatifs et en donnant notre point de vue et celui des lecteurs du magazine Rwanda-Géopolitique dans le but et l’espoir de voir l’avenir s’améliorer pour chaque citoyen, (voir au http://www.vepelex.org). Nous n’allons pas y revenir, dans cet article où il sera question du cri d’alarme suite au drame de victimes, dont les corps ont été vus flottant sur le lac Rweru qui s’étend entre le Rwanda et le Burundi.
C’est à partir de la mi-juillet que les corps de victimes, dont on ignore jusqu’à présent les noms, ont été retrouvés sur le lac Rweru. Les témoignages de pêcheurs burundais et rwandais sont sans équivoque. Ils affirment que ces corps auraient été charriés par la rivière Akagera qui vient du Rwanda, avant d’émerger du lac, du côté burundais de la frontière. Ces découvertes d’une horreur extrême se sont poursuivies même au mois de septembre, les témoins comptaient alors plus de 40 corps sans vie. Les autorités burundaises et rwandaises ont toutes deux nié que ce soient des cadavres de leurs ressortissants.
Plusieurs questions se posent. Pourquoi n’y a-t-il pas eu d’autopsie ? Le Rwanda prétend que ce ne sont pas ses ressortissants. Pourquoi ce déni catégorique avant l’identification des victimes ? La peur au ventre, les habitants rwandais riverains du lac ont révélé que ces corps venaient d’au loin de l’intérieur du Rwanda. Comment un tel drame peut-il se produire sans que les autorités rwandaises ne s’en émeuvent ? Comment se fait-il qu’elles n’expriment aucune inquiétude au moment où, depuis le mois de mars, la population et les ONG comme Human Rights Watch ont signalé plusieurs cas de disparitions au Rwanda, même si les enquêtes n’ont pas encore démontré s’il y avait un lien. Normalement, dans une affaire pénale, de crimes, le ministère public n’est pas censé attendre qu’il y ait de plaignant pour agir. Il est compétent, et c’est son devoir de se saisir d’une telle affaire. Il s’agit d’un crime grave, en l’occurrence, un meurtre voire des assassinats de masse.
Il y a des signes qui ne trompent pas. Les victimes ont apparemment subi des atrocités horribles et des actes de barbarie. Emballés dans des sacs de plastic, ces cadavres portaient, selon les témoins, une cagoule sur la tête. Ils avaient les jambes repliées, attachées de telle manière que les cuisses touchaient le buste. Les bras étaient également attachés dans le dos et la même corde s’enroulait autour du cou. Comme si cela ne suffisait pas, selon les témoins, les criminels ont déshabillé totalement presque toutes les victimes.
Pour éviter que les corps ne remontent à la surface, ils étaient attachés à une pierre. Peine perdue, les forces naturelles ont révélé au grand jour ce crime odieux. Malgré les précautions prises par les bourreaux pour faire disparaitre les corps, les témoins ont découvert quelques effets sur ces victimes, ce qui pourrait inspirer des enquêteurs; comme par exemple une carte mutuelle délivrée à Gisenyi, province de l’Ouest du Rwanda, ou encore un « T-shirt » avec les inscriptions en kinyarwanda. C’est une tragédie qui aurait dû faire réagir de façon responsable, les plus hautes autorités. Mais, rien ou presque.
Où sont les sages du parti au pouvoir ?
On aurait pensé que 20 ans après le génocide, chacun ait appris et bien compris que le respect de la vie humaine est un droit fondamental inviolable. C’est un droit qui doit être légalement et strictement protégé, en tout temps et en tous lieux pour chaque individu sans exception aucune. La population ne cache pas sa peur et les inquiétudes pour son lendemain grandissent.
Avant le « drame » du lac Rweru, le climat n’était pas non plus serein au Rwanda à la suite de disparitions forcées, tortures, arrestations ou détentions illégales signalées par les ONG (Organisations non gouvernementales). Les Etats-Unis d’Amérique et la Grande Bretagne ont exprimé leurs inquiétudes et demandé des clarifications sur la situation. Par ailleurs, la peur d’être assassiné a atteint même les Rwandais vivant à l’étranger.
En mai dernier, le quotidien canadien The Globe and Mail a publié une enquête, qui rapportait que le gouvernement de Paul Kagame était l’instigateur de l’assassinat de Patrick Karegeya à Johannesburg le 31 décembre 2013, et celui de nombreuses tentatives d’assassinats d’opposants vivant en exil. La preuve accablante, ce sont les enregistrements de conversations avec le chef des services de renseignement du régime. Des enregistrements qui révèlent un complot criminel ourdi par Kigali pour éliminer ses opposants.
Pour Judi Rever, l’une des deux journalistes qui signent l’enquête, ces preuves sont irréfutables. « Les audios ont été vérifiés par au moins trois ex-membres des FPR qui ont travaillé avec le chef des renseignements», explique-t-elle. Rares sont les autorités d’un pays qui pourchassent ses ressortissants au-delà des frontières, et même sur un autre continent. En mai 2011, par écrit, la police britannique avait signifié aux Rwandais réfugiés politiques à Londres (Jonathan Musonera et René Mugenzi) que le gouvernement rwandais représentait un danger immédiat pour leur vie. Ultérieurement, une similaire mise en garde contre un danger potentiel d’attentat était également faite à l’ancien premier ministre Faustin Twagiramungu par la police belge.
http://www.bbc.co.uk/afrique/region/2011/05/110520_rwanda_opposition.shtml
Ces derniers jours, au sein du FPR, certains membres ont osé déconseiller au général major Paul Kagame, l’actuel président de la république, de briguer un troisième mandat. Cela équivaut apparemment au « crime de lèse-majesté », alors que ce serait une sortie honorable pour lui et un point de gagné pour son parti.
Ce à quoi on assiste au « pays des Mille Collines » laisse penser que la peur n’est plus seulement l’apanage de la population mais elle a atteint la « tête » du pays. La population, victime innocente, en paie le lourd tribut alors que les leaders au sommet de l’Etat en sont à la fois victimes et responsables. La raison est simple : la gravité des crimes et des erreurs répétées n’est pas sans conséquences. Ils sont confrontés à une multitude de questions auxquelles ils n’ont jamais apporté de réponse adéquate, comme par exemple le processus démocratique, la liberté d’opinion, la vérité historique, l’unité et la réconciliation et bien d’autres. Comment peuvent-ils s’en sortir ? Est-il trop tard ? Quoi qu’il en soit, pour sauver les meubles, il convient d’écouter les voix des sages, aussi bien ceux de l’intérieur que ceux de l’extérieur du FPR. Dernièrement, notre confrère Victor Manege Gakoko a fait une observation qui pourrait être utile à ce parti en ces termes : « il y a nécessité urgente que le FPR opère son « aggiornamento » à l’instar de l’ANC de l’Afrique du Sud. Le FPR devrait se convertir en un réel parti politique en respectant dorénavant les normes et les valeurs républicaines». Il est urgent de répondre à la voix de ceux qui souffrent.
Côté Opposition, êtes-vous prêts à présenter une alternative crédible ? Etes-vous capables de rassurer toutes les sensibilités ? Certains partis ont du mal à bien s’organiser et parler d’une même voix au sein même de leur cuisine interne. Sont-ils conscients qu’il s’agit d’un net retard et un grand danger en soi ? D’autres n’ont pas de projet concret pour ce pays qui a tant souffert. A cette heure-ci, devant les citoyens, ils n’auraient pas de solutions à proposer et de ce fait ils sont presque « hors-jeu » pour le moment. Les problèmes du pays nécessitent l’implication de chaque citoyen même si les politiques sont concernés au premier plan. La défaillance, les débordements ou les dérives des politiques ne doivent pas être passés sous silence ou accueillis dans l’indifférence. Comme tout être humain, les victimes retrouvées sur le lac Rweru méritent la justice, le respect et la dignité qui, jusque-là, leur ont été enlevés
Jean-Claude Mulindahabi