Quand Charles Onana se met dans la peau du prisonnier Déo Mushayidi!

©Photo: Réseaux sociaux. Politologue, journaliste d'enquête et essayiste, Charles Onana.

21/06/2021, La Rédaction en union avec celles et ceux qui soutiennent Déo Mushayidi

Le journaliste d’investigation franco-camerounais, Charles Onana, vient de lancer via les réseaux sociaux une action contre l’oubli du journaliste Déo Mushayidi, en prison au Rwanda depuis 11 ans. Un message très significatif d’interpellation pour sa libération immédiate, adressé principalement aux États démocratiques et aux organismes internationaux de défense des droits humains et de la liberté d’expression et de la presse. Charles Onana est co-auteur avec Déo Mushayidi d’un ouvrage qui dérange intitulé «Les secrets du génocide rwandais» publié, en 2002, aux éditions Duboiris.

Audio ci-dessous retranscrit par Amiel Nkuliza

”Salut à tous. Je suis Déo Mushayidi. Je vous parle du fond de ma prison quelque part au Rwanda.

Pour ceux d’entre vous qui ne me connaissent pas, je voudrais vous dire simplement que je suis Rwandais.

Né en 1961 dans l’ancienne commune de Sake, à l’Est du Rwanda. Toute ma famille a été tuée dans les tragédies d’événements de 1994 qui ont ensanglanté mon pays. Et je suis dans la lignée de mes parents le seul survivant.

En clair, je suis ce que l’on appelle aujourd’hui un rescapé tutsi. Ne vous inquiétez pas si vous ne trouvez pas mon nom dans la liste des rescapés tutsis.

En effet, certains ont décrété qu’il n’était pas nécessaire que j’y figure, car je suis à leurs yeux un mauvais tutsi.

Je ne savais pas qu’il y avait de bons tutsis et de mauvais tutsis. Des rescapés qu’on reconnait et ceux qu’on ignore. Ceux dont l’histoire mérite d’être connus et ceux que l’on s’empresse d’oublier.

J’ai mis du temps à comprendre pourquoi il y avait ce type de distinction et de discrimination entre les victimes d’une même tragédie. Je croyais que toutes les victimes de la tragédie rwandaise méritaient d’être reconnues et respectées. Je croyais que le changement de régime en 1994 au Rwanda allait apporter l’égalité de droit et de traitement pour tous les Rwandais.

Je croyais que le Rwanda allait devenir un havre de paix pour tous ses enfants. Je croyais qu’on allait enfin tourner la page de nos tenaces divisions historiques.

Je croyais que nous Rwandais allions pouvoir nous exprimer librement dans notre pays en affichant sans violence et sans haine tant à nos accords, tant à nos désaccords.

Je croyais que nous avions compris, nous Rwandais, que la solution à nos problèmes n’était ni dans la guerre, ni dans la discrimination, ni dans la violence physique, psychologique ou verbale. J’avoue que je me suis trompé.

Lorsque j’avais rejoint le Front patriotique rwandais au début des années 90, c’était d’abord parce que je croyais au respect des valeurs de liberté et d’équité.

Je suivais une formation en théologie et en philosophie à l’université de Fribourg, en Suisse. J’étais enseignant. Mais, j’ai pris une décision capitale dans ma vie en choisissant de représenter le Front patriotique rwandais en Suisse. Ce n’était pas un choix facile et encore moins anodin.

J’étais attaché à la vie religieuse et à l’enseignement, mais j’ai consacré du temps et de l’énergie au Front patriotique rwandais, par amour pour mon pays et pour l’espoir de changement que ce mouvement représentait aux yeux de beaucoup de Rwandais.

En réalité, au Front patriotique rwandais, on ne donnait pas tous le même sens au mot ”changement”. Je m’en suis aperçu lorsque je suis devenu président de l’Association des journalistes du Rwanda et secrétaire exécutif du Centre pour la promotion de la liberté d’expression et de la tolérance dans la région des grands lacs.

J’ai définitivement compris lorsque je fus arrêté et accusé par les autorités de mon pays de propager des rumeurs incitant à la désobéissance civile et que j’aurais recruté une armée pour agresser le pouvoir en place à Kigali. Ces accusations étaient évidemment grossières et mensongères. Mais certains ont cru à cette pantalonnade, oubliant très vite tout ce que j’avais fais pour le Front patriotique rwandais et pour le respect des libertés et de la démocratie dans mon pays.

Sachant que j’étais face à une machine judiciaire et infernale et que je serai l’objet d’une justice expéditive et intransigeante, j’avais préparé un petit message comme je le faisais souvent à chaque occasion solennelle.

J’avais prévu de lire ce message au cas où je serais condamné. Sans surprise, et comme je le prévoyais le 17 septembre 2010, la Haute cour de justice du Rwanda m’a condamné à la prison à perpétuité.

Mon seul tort étant d’avoir cru et d’avoir espéré, malgré le massacre de toute ma famille en 1994, que le Rwanda allait changer pour tous les Rwandais, que toutes les victimes, tutsis, hutus et twas, seraient reconnues, et que la justice serait la même pour tous dans un pays libre et démocratique.

Mon rêve et mon espoir étaient brisés. Pourtant, j’avais combattu pour cela. J’ai, à de nombreuses occasions, rappelé la soif de vérité et de justice pour tous les Rwandais. Et je crois avoir compris que cela n’arrangeait pas tout le monde.

Pour ceux qui m’écoutent aujourd’hui, sans savoir qu’elles furent et quelles sont les convictions que j’ai toujours défendues, je vous livre ici le message que j’ai lu devant les juges de la Haute cour qui m’avaient injustement condamné:

”Lève-toi, mon peuple; je n’ai pas péché, je suis innocent. Si le pouvoir estime que ma mort ou mon emprisonnement est une solution à ces problèmes, il se trompe. Pour l’amour de mon peuple, cette détention, je la vis, je la souffre, je l’endure, je ne demande pas à mon peuple de m’être reconnaissant. Il n’a aucune dette envers moi. C’est moi qui lui doit beaucoup.

Je me réjouirai de la joie qu’a mon cœur grâce à mon engagement et à ma détermination. Je ne demanderais à personne de me prendre en pitié. Je ne suis pas pitoyable.

Si vous m’aimez, soutenez la cause que j’ai défendue. Et que je défendrai de mon vivant. A savoir la liberté, l’amour entre les Rwandais, le respect mutuel et la promotion de la liberté pour tous.

Si ce message vous parle, je vous en donne un autre aujourd’hui:

”Peuple rwandais, amis du Rwanda, chers frères et sœurs du Congo et du Burundi, ne vous découragez pas, gardez l’espoir que la vérité, la paix et la justice vont un jour rayonner dans la région des grands lacs africains. Je vous embrasse tous, je vous aime”.

Déo Mushayidi, qui vous aime et qui a décidé de rester en prison, parce que les autorités du Rwanda l’ont décidé ainsi.

Je vous remercie”.

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