Paul Kagame a-t-il toutes les cartes entre ses mains?

Il n’est pas rare que les Occidentaux s’insurgent contre lui. Le lendemain, ce sont les mêmes qui reviennent vers lui et débloquent l’aide sans qu’il ait nécessairement répondu à leurs exigences. L’opposition rwandaise dénonce sa politique qu’elle juge répressive et antidémocratique, mais elle ne pèse pas contre lui. Le président Paul Kagame reste imperturbable. Seuls, certains de ses choix politiques et stratégiques pourraient marquer un tournant quant à l’avenir du « Pays des mille collines ».

Le grand public le découvre dès les premiers jours de la guerre de 1990. Puis, lors des négociations d’Arusha, ce chef de guerre impose ses vues sans y être physiquement présent. C’est encore lui qui porte le flambeau du FPR à sa victoire militaire de 1994. Enfin en 2000, il devient président de la République en même temps que disparaît le poste de vice-présidence. Pendant près de deux décennies, ses principaux alliés et grandes puissances mondiales le considéreront comme l’homme providentiel d’un pays qui a tant souffert. Même en prenant leurs distances à son égard, ces derniers temps, ils ne sont pas catégoriques, faute d’alternative crédible. D’aucuns se demandent jusqu’où le président Paul Kagame pourrait aller.

Il est sûr de lui-même ; ses discours font comprendre qu’il a toujours raison dans les décisions qu’il prend. Qu’est-ce qu’il n’a pas encore fait? Ce n’est pas par hasard si on l’appelle « l’homme fort ». A l’intérieur du pays, sa parole est respectée à la lettre. Ses affidés règnent en apprentis dictateurs sur le peuple. Il a la force militaire incontestable puisqu’il dispose d’une armée, ainsi que des services de police et de renseignement bien équipés. La présence de l’armée et de la police rwandaises dans les opérations de maintien de la paix ou de secours à l’étranger est plus que remarquable : au Soudan, en République Centrafricaine, au Mali, en Haïti. Le Rwanda a marqué des points à ce sujet.

Le Général Paul Kagame est doté de capacités exceptionnelles de meneur d’hommes. Comment dire le contraire si on se souvient qu’en 1990, il a pris la tête de la rébellion APR qui venait de perdre son chef militaire et charismatique le Général Fred Gisa Rwigema ainsi que trois autres principaux officiers dans le haut commandement et qu’il est parvenu à mobiliser ses troupes, faire entendre sa voix jusqu’à la prise totale du pouvoir et imposer son mode de gouvernance? Des observateurs le considèrent comme le « maître suprême » de son pays, que son impact n’est pas non plus négligeable dans la région des grands lacs.

Une classe politique béni-oui-oui

Ceux qui suivent de près la situation au Rwanda rapportent que le président Kagame est riche. Il possède un patrimoine considérable tant à l’intérieur qu’à l’étranger, avec notamment une flotte aérienne. On lui prête des réseaux internationaux chargés de redorer et renforcer son image. Il a une armée d’amis occidentaux qui lui servent de conseiller. Certains de ses concitoyens le vénèrent, d’autres le trouvent sulfureux. Certains ont peur de lui, se gardent de s’exprimer, mais d’autres aussi le contestent ou du moins désapprouvent sa politique, arguments à l’appui. Ces dernières années, il est aussi devenu un personnage exceptionnellement sujet à controverses à l’échelle internationale.

C’est au regard de la situation actuelle au Rwanda, que l’opposition dénonce le manque d’indépendance des trois « pouvoirs », l’Exécutif, le Législatif et le Judiciaire. Ses opposants le qualifient de dictateur et exigent l’élargissement de l’espace politique et démocratique. Est-ce qu’ils ont suffisamment de moyens stratégiques pour lui prendre le pouvoir et ce, par la voie des urnes? Avant tout, que peuvent-ils faire pour que les élections soient libres et transparentes comme ils le réclament ? Ont-ils réellement un projet alternatif crédible ? Est-ce qu’ils se montrent réalistes et confiants aux yeux du peuple et de la communauté internationale?

Le 8 mars dernier, lors d’une réunion informelle (dite « retraite »), des hauts cadres de la classe politique et de la société civile rwandaises, le premier ministre Pierre-Damien Habumuremyi a osé dire qu’à l’exception du président Paul Kagame, les autres, lui y compris, n’avaient pas bien rempli la mission qui leur avait été confiée. Cela ne signifie-t-il pas, pour eux, que Paul Kagame reste incontournable, incontestable, leur seul guide, et qu’ils seraient prêts à le suivre vers n’importe où ? Il est président mais sont-ils conscients qu’il est aussi un homme ? De ce fait, le président a aussi besoin de collaborateurs audacieux, qui ne soient pas là que pour le vénérer. Si cette classe politique présente tous les risques de le suivre à l’aveugle, le président a-t-il la chance d’avoir des conseillers à la hauteur de la tâche ? Des conseillers compétents capables de lui dire un jour : « Non, monsieur le président, cette voie-là serait catastrophique, voilà la meilleure solution pour s’en sortir ».

Dans un sens comme dans un autre, il peut être facilement suivi par ses concitoyens qui se laissent entraîner par une classe politique béni-oui-oui. Or, depuis 20 ans, Paul Kagame a prouvé que même ses proches collaborateurs n’étaient pas intouchables. Cela peut être un signe positif ou négatif selon les circonstances. Ainsi, que vous soyez puissants ou misérables, vous pouvez vous retrouver derrière les barreaux. Des exemples sont nombreux : il y a des cas emblématiques comme Sam Nkusi, ancien directeur de Rwandatel et d’Electrogaz (dénomination de l’époque), Théoneste Mutsindashyaka qui occupa des fonctions importantes, dont celle de secrétaire d’Etat au ministère de l’Education, Alfred Gakuba Kalisa qui fut PDG de l’ex-BCDI, ou Pasteur Bizimungu, ancien président et bien d’autres. Qui aurait pu s’imaginer les voir un jour croupir en prison comme de vulgaires délinquants ? Et bien, sous le régime de Paul Kagame, ces anciens dignitaires ont été des témoins vivants de ce dont il est capable de faire.

Parmi les gens qui mènent le combat contre sa politique, certains résistent, d’autres s’épuisent, se taisent et/ou rentrent carrément dans le rang. D’autres encore disparaissent dans les conditions mystérieuses et horribles. De Seth Sendashonga assassiné à Nairobi jusqu’à Patrick Karegeya à Johannesburg, en passant par Théoneste Lizinde, André Kagwa Rwisereka et bien d’autres. Ses opposants ont encore du pain sur la planche. L’homme en impose même en dehors de ses frontières. Combien de fois, les grandes puissances dont les Etats Unis d’Amériques et le Royaume-Uni ont menacé de sanctions le régime de Kigali mais sans de résultats palpables ? La communauté internationale n’est-elle pas impuissante au point que même le Président Paul Kagame ne s’empêche pas de se moquer d’elle ?

Quid du Mapping report, des mandats d’arrêts français et espagnols ?

Il a gagné non seulement la guerre mais aussi la bataille médiatique. Et d’ailleurs, à ce jour, (à moins que ce soit des impressions trompeuses), il y a des étrangers qui pensent que personne d’autre ne saurait bien assumer la charge suprême de ce pays comme Paul Kagame. Lui qui se vante d’avoir arrêté le génocide des tutsi alors que la communauté internationale assistait, bras croisés, à la tragédie. Fort militairement et politiquement, lui qui est capable de mettre à genous un pays 90 fois plus grand que le Rwanda, comme il l’a démontré dans le passé, sans que rien ni personne ne l’inquiète ! L’ONU, comme toujours molle ?! Et plus loin, les gens se posent des questions. Où sont passés le Mapping report[1], les mandats d’arrêts du juge anti-terroriste français, et ceux du juge espagnol ? A cette situation, on ne tend pas vers le dicton de la raison du plus fort qui est toujours la meilleure ? Est-il trop tôt ou trop tard ? Et lui, est-il trop fort pour imposer sa loi pour le meilleur et pour le pire ?

Depuis la « balkanisation » de l’Afrique, à savoir le morcellement territorial du continent au moment de la conférence de Berlin (1884-1885), le Rwanda n’avait connu de problèmes de relations diplomatiques majeurs avec les pays voisins. Récemment, les tensions vives se sont multipliées : avec la Tanzanie suite aux déclarations de son président Jakaya Kikwete, avec la RDC qui, depuis plusieurs années, ne cesse d’accuser le Rwanda soit d’occuper une partie de son territoire, soit de soutenir les fractions armées contre Kinshasa ; sans oublier le conflit qui a opposé les armées rwandaise et ougandaise en RDC en 1999 et qui a fait d’innombrables victimes des deux côtés. Peut-on dire que les relations sont au beau fixe entre le chef d’Etat rwandais et son homologue burundais ? Si la réponse est affirmative, le Burundi serait le seul pays voisin avec lequel les relations n’aient été entachées d’aucune discorde ces vingt dernières années.

Comment ne pas le qualifier de fort, cet homme qui vit, survit et résiste aux charges les plus graves et les plus lourdes jamais mises sur le dos d’un chef d’État depuis la deuxième guerre mondiale ? Le président Paul Kagame a renforcé le pays sur le plan de la sécurité ; les frontières sont intactes. Sur le plan infrastructures, un pas géant a été franchi, c’est un fait, beaucoup de constructions dans le domaine du bâtiment, les routes, la propreté ; la capitale Kigali est enviée par les touristes du monde entier. La rapidité et la facilité d’accès aux différents services, sont déjà en cours. Ces réalisations sont louables et les rwandais en sont fiers. On parle de la croissance économique du pays. Mais, est-ce pour autant que les Rwandais mangent à leur faim ? La corruption n’existe-t-elle pas ou elle existe surtout sous une certaine forme ?

L’avenir est-il clair? Où est-ce que le président Paul Kagame conduit le pays ? Le Rwanda est en paix, les opposants au régime critiquent sans cesse la politique engagée et disent tendre la main au président pour lui dire ce qu’ils souhaitent comme mode de gouvernance. Pourra-t-il un jour accepter cette main tendue ? Et voilà que certains des opposants s’allient avec les FDLR au risque de lui trouver un bon prétexte de décliner leur offre. Le cas des FDLR mis à part, est-il normal de minimiser les demandes de l’Opposition. Mais aussi, est-il possible de régler la question des FDLR par la force militaire ? La justice nationale et internationale doit poursuivre les criminels qui se cachent au sein des FDLR. Cela n’est que justice. Qu’en est-il des « non-criminels » qui demanderaient à être intégrés dans l’armée nationale comme l’ont été leurs anciens compagnons Rwarakabije et consort ? De telles questions doivent-elles rester des sujets tabous ?

L’homme fort est capable de tout, il a peut-être de bonnes réponses pour l’avenir. Cela dépendra des choix qu’il fera. Certains observateurs disent que de bons choix ne pourraient que le renforcer, alors que ses mauvais choix entraîneraient non seulement la fin de son règne mais aussi des conséquences fâcheuses sur la population. Comme il détient tous les pouvoirs, il a son destin et celui de tout un pays entre ses mains. C’est une lourde responsabilité qui implique de placer l’intérêt national au-dessus de tout, s’il veut laisser un bon héritage aux générations futures. Le président Paul Kagame a deux principaux défis à relever : d’une part, répondre aux attentes des Rwandais.

Discret, le peuple rwandais ne parle pas beaucoup. Il faut un peu de sagesse pour lire sur son visage ce qu’il respire au fond de son cœur. Pourra-t-il lui répondre sans détours ? D’autre part, comment va-t-il résoudre les problèmes géopolitiques ? Par la voie diplomatique ou par les moyens militaires ? Toutes les cartes sont entre ses mains. « Tempore cognoscemus », (qui vivra, verra).

Jean-Claude Mulindahabi

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[1] Rapport de l’ONU sur les massacres commis par l’armée rwandaise sur le territoire de la République démocratique du Congo, publié en août 2010.

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