15/02/2024, par Tharcisse Semana et Bazumvaryari Maurice
Les “ethnies/Ubwoko” Hutu, Twa, Tutsi, sont devenues aujourd’hui une réalité existentielle des Rwandais. Mais comment l’expliquer, du point de vue philosophique, anthropologique ou sociologique ? En d’autres termes, des “ethnies/Ubwoko” Hutu, Twa, Tutsi, d’où viennent-elles ? Quelle est leurs origines ? Et, subsidiairement, sur quoi se fonde réellement l’ethnisme ou l’identité ethnique au Rwanda ? Sur la ‘‘provenance’’, la “profession” ou sur l’appartenance collective (clanique) ? Les “ethnies/Ubwoko ” Hutu, Twa, Tutsi – devenues aujourd’hui une réalité existentielle des Rwandais – sont-elles vraiment une pure invention du pouvoir colonial ou plutôt sont-elles reprises par celui-ci de la réalité imaginaire ou mythologique des Rwandais ?
Les auteurs du présent article reprennent et traitent cette question, du point de vue sociohistorique et de l’anthropologie politique, en complément de ce que l’un d’eux avait déjà précédemment publié sur ce sujet, dont le lien présentant le résumé de son ouvrage ci-après: https://www.editions-harmattan.fr/livre-la_mobilite_ethnique_au_rwanda_tharcisse_semana-9782336007366-41187.html
La langue rwandaise, iKinyarwanda, n’a pas d’équivalent pour le mot “ethnie”, ou plutôt les langues étrangères n’ont pas d’équivalent pour le mot Kinyarwanda “Ubwoko”. Ethnie, race, tribu, clan, groupe social, peuple, voire même ‘famille élargie’, peuvent se désigner par “Ubwoko” en Kinyarwanda. Le terme ‘Umuryango’ signifie généralement ‘famille restreinte ou élargie’, ‘clan’ ou ‘lignée ancestrale’, mais UBWOKO est un terme qui peut avoir une signification très versatile. Ceci amène à s’interroger sur ce que l’on doit retenir quand l’on entend qu’au Rwanda il y a trois “Ubwoko”, ce qui est universellement compris comme « trois ethnies ».
Le terme ‘Umuryango’ signifie généralement ‘famille restreinte ou élargie’, ‘clan’ ou ‘lignée ancestrale’. UBWOKO, quant à lui, est un terme très versatile. Ces deux termes amènent, en effet, à s’interroger sur ce que l’on peut retenir quand l’on entend dire qu’au Rwanda il y a trois “Ubwoko” : Hutu, Twa et Tutsi.
Lorsqu’on évoque la notion d’ethnie au Rwanda, en parlant des communautés Tutsi, Hutu et Twa, certains objectent en arguant que ces communautés représentent des classes sociales et d’autres disent qu’il s’agit d’ethnies inventées par les colons ou encore qu’il s’agit bel et bien de groupes ethniques, de tribus ou de races, etc.. Autant donc de philosophes, autant de visions et de versions. La grande question qui se pose est celle de savoir ce que signifie réellement ‘Ubwoko’ pour les Rwandais eux-mêmes que pour les étrangers. Une question épineuse et si difficile. Et pourquoi alors cela est si difficile à comprendre ?
Quand la politique se mêle à l’ethnohistoire…
Quand la politique se mêle à l’ethnohistoire, la spéculation se confond à la science, et la frontière entre le correct et l’incorrect devient floue. C’est pour cette raison que les administrateurs coloniaux du Ruanda-Urundi, entité géographique correspondant aux territoires des républiques Burundaise et Rwandaise d’aujourd’hui, ont cherché la facilité en traduisant ubwoko par ethnie.
Après l’horrible massacre du funeste printemps d’avril 1994 – « Génocide » qualifié, d’abord, par le nouveau régime du Front patriotique rwandais (FPR) de «Itsembabwoko n’itsembatsemba», reconnu par les Nations-Unies sous la dénomination de «Génocide rwandais», et puis, le 26 janvier 2018, rebaptisé «Génocide des Tutsi» –, beaucoup d’africains, européens, asiatiques et américains ont souvent cogité sur les causes proches ou lointaines de ce « Génocide ». Ils essayaient de comprendre pourquoi et comment deux ethnies – Hutu et Tutsi, ayant une même culture et une même religion – ont été incapables de cohabiter pacifiquement et recourir plutôt follement à la violence : ces deux dites ethnies – Hutu et Tutsi – se sont violemment déchaînées l’une contre l’autre, jusque même à s’éliminer mutuellement et réciproquement. Personne n’a jamais compris et ne comprends toujours pas encore aujourd’hui pourquoi une ethnie voudrait-elle exterminer une autre ou réduire à moitié une autre alors que toutes les deux parlent une même langue, se marient et constituent un même peuple. Une incompréhension totale devant l’indicible !
Cependant, la logique humaine conduit à se poser des questions sur la vraie cause ou plutôt les vraies causes de ce « Génocide » et, dans la même logique, sur la vraie nature et les fondements des ethnies au Rwanda. Mais plus précisément, pourquoi seules les deux ethnies – Hutu et Tutsi – rivalisent, s’affrontent toujours et occupent, elles seulement, le devant de la scène politique rwandaise. Et sur ce, l’histoire récente du Rwanda nous renseigne qu’après l’indépendance de 1962, le Gouvernement de la première République n’a pas réfléchi suffisamment sur la notion d’Ubwoko/ethnie mentionnée, depuis déjà l’époque monarchique, sur les pièces d’identité ou autres documents administratifs. Il n’a pas privilégié une réflexion approfondie sur toutes les conséquences dramatiques, à court et à long terme, qui pouvaient découler du simple fait de distinguer les Rwandais sur cette base avant d’en faire un des éléments centraux de la nouvelle politique.
Ce Gouvernement – piloté par le parti PARMEHUTU (PARti du Mouvement de l’Émancipation HUTU), dirigé par Grégoire Kayibanda – n’a donc pas pu déceler les incohérences entre le signifié et le signifiant ; il n’a pas non plus travaillé sur les bonnes pistes socio-anthropologiques pouvant l’aider à éviter des rivalités inutiles et conflits latents entre Hutu et Tutsi.
Prise au piège, la deuxième République, elle aussi, sous l’égide du Général Juvénal Habyarimana et son parti unique MRND (Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement), n’a pas adopté non plus une politique adéquate pouvant, à moyen et à long terme, étouffer dans l’œuf ce conflit déjà larvé. Elle l’a plutôt engraissée jusqu’à devenir un conflit ouvert. Ainsi, de 1990 à 1994, il s’est monstrueusement dégénéré en un « Génocide ».
Malheureusement, le régime du Général Paul Kagame et son parti FPR (Front patriotique rwandais) perpètre ce conflit encore aujourd’hui et l’exporte même au-delà de nos frontières. Le mal est perpétuellement engraissé et dégénère, sans fin, dans des crises sanglantes ; des « Génocides » inédits et ignorés. L’indifférence de la communauté internationale est totale. Paradoxalement, celle-ci soutient et protège ce régime sanguinaire qui sème la mort et la désolation à l’intérieur du Rwanda et dans l’Est de la République démocratique du Congo. Le mal continue d’être engraissé. On le laisse prendre aisément racines au lieu de l’extirper. Aucun effort n’est jusqu’à présent manifesté ou fourni pour essayer de le déraciner. Ce mal qui, pour les Rwandais, est devenu une quasi fatalité tant sociale que politique, s’incruste et dégénère toujours en crises sanglantes, au Rwanda et au- delà de ses frontières.
Suppression de la mention ethnique Hutu -Twa -Tutsi, un secret de Polichinelle
Après le « Génocides » de 1994, le régime du FPR a vite opté pour la suppression de la mention ethnique/ubwoko Hutu-Twa et Tutsi dans les pièces d’identité et autres documents administratifs; ce qui est, en effet, un bon choix politique, voire donc une bonne stratégie politique raisonnable pour la gestion de la question ethnique d’une société profondément meurtrière, marquée toujours par de plaies béantes et de blessures non encore cicatrisées.
Cependant, il est à faire remarquer que la question d’Ubwoko/Ethnie n’a jamais été un sujet de débat au Rwanda. Quel que soit donc les régimes qui se sont succédés – régime monarchique brutalement renversé et violemment remplacé à coup de massue par le régime républicain initié par Grégoire Kayibanda avec son parti PARMEHUTU; puis, celui-ci remplacé dans un bain de sang par le régime de Juvénal Habyarimana avec son parti unique MRND – il n’y eut vraiment aucune tentative de débattre politiquement ou académiquement la question d’Ubwoko/Ethnie. Idem non plus sous le présent régime du FPR, de Paul Kagame. Le débat sur cette notion ou plutôt sur cette réalité sociale des Rwandais d’Ubwoko/Ethnie a été toujours un tabou, au sein du cercle des intellectuels comme au sein de la scène politique. Et pourtant, dans la réalité sociale et politique rwandaise, Ubwoko/Ethnie s’impose impérativement non seulement comme une réalité existentiellement sociale mais aussi et surtout politique. Donc, qu’on le veuille ou pas, Ubwoko/Ethnie a toujours politiquement dicté et dicte encore aujourd’hui les choix d’orientations de tel ou tel régime au pouvoir.
Tel est, en tout cas, l’échiquier politique rwandais, depuis déjà la monarchie jusqu’à ce jour. De tout temps, Ubwoko/Ethnie a été toujours au Rwanda un bouclier efficace des assoiffés du pouvoir de tous bords. Ils en ont fait une réalité politique du Rwanda et s’en sont toujours servis et s’en servent encore aujourd’hui pour accéder et se maintenir au pouvoir. Mais, paradoxalement, lorsqu’on soulève un débat sur ça, ça leur fait froid dans le dos. Et quand ils s’en emparent malicieusement pour volcaniser leurs meetings, personne n’ose réagir et ça termine toujours souvent dans un bain de sang.
Dans l’exercice du pouvoir, il n’y a jusqu’aujourd’hui aucun régime qui aurait publiquement encouragée Ubwoko/Ethnie ou montré qu’il y attache une grande importance. Mais malgré cela, rien n’empêche qu’ils s’y appuient malignement.
En effet, malgré la suppression de la mention d’ethnie dans les pièces d’identité et dans d’autres documents officiels, le régime actuel, le FPR de Paul Kagame ne s’empêche de s’y appuyer encore aujourd’hui pour attribuer certains postes-clés de responsabilité. Ainsi, par exemple, depuis son ascension au pouvoir, le poste de 1er ministre semble être réservé exclusivement aux Hutu tandis que les postes de Chef d’État-major Général de l’armée et de Commissaire Général de la Police Nationale sont réservés aux Tutsi. Tel est le constat durant les trente ans du FPR au pouvoir.
Faisant référence à cela, l’on peut donc établir la réalité et affirmer sans détours que malgré la suppression de la mention de l’ethnie dans les pièces d’identité, la question ethnique Hutu, Twa et Tutsi au Rwanda persiste encore et se veut un véritable apanage politique. Pour l’étranger non averti ni renseigné, ceci pourrait lui paraître comme une histoire inventée et trop exagérée par le fait même que, pour lui, ça pourrait être tout simplement le résultat du pur hasard. Car il n’est nulle part mentionné, dans les documents de l’Etat, que de tels ou tels postes ont été attribués ou doivent être attribués sur base ethnique. Et pour rappel, il en a été ainsi également au temps des régimes précédents.
Comment peut-on alors prouver ou justifier que tels ou tels postes ont été attribués ou sont attribués sur base ethnique ? La réponse est toute courte et très simple : cela relève tout simplement du secret de Polichinelle; tous les Rwandais savent donc ce qui se passe. Car ils se connaissent très bien. Ils n’ont donc pas nécessairement besoin d’un petit ou grand livret dans lequel ils doivent se plonger des heures et des heures pour déchiffrer ces fameuses identités ethnique ‘‘Ubwoko’’: Hutu-Twa-Tutsi. Un secret de Polichinelle que les étrangers ignorent mais pourtant qui fonctionne à merveille au Rwanda, voire même au Burundi et à l’Est de RDC.
Au lieu de penser à apporter un éclaircissent convaincant qui conduirait à une évolution des mentalités, à une harmonieuse cohabitation et à une paix durable, l’actuel gouvernement a choisi de prôner la voie de l’évitement (entre les deux ethnies), une stratégie non rassurante, surtout quand l’on sait que rien n’a changé à la méfiance entre Hutu et Tutsi. La stratégie concoctée par le présent régime du FPR peut déboucher, certes, sur un semblant de paix mais condamnée à être éphémère et illusoire. Le FPR cherche à interdire scrupuleusement de parler d’« Ubwoko »: Hutu-Twa-Tutsi, mais se réserve, à lui et à son chef, le droit d’outrepasser cette interdiction dans les faits : il continue d’attribuer des postes-clés de responsabilité politique sur base de Hutu-Tutsi. Outre cela, il affirme haut et fort qu’au Rwanda il n’y a pas d’« Ubwoko »: Hutu-Twa-Tutsi. Cependant, paradoxalement, il confesse qu’il y eut le «Génocide des Tutsi» ! Que dire alors ? Ne s’induit-il pas lui-même dans l’erreur d’une dangereuse incohérence idéologique, une sorte de négation de sa propre politique, pour des raisons d’intérêts politiques ? À vous chers lecteurs et lectrices d’en juger.
Des ethnies on n’en parle pas, mais…
Des ethnies on n’en parle pas, mais chaque Rwandais sait qui est quoi et qui est qui. Le gouvernement exploite malicieusement « Ubwoko »: Hutu-Twa-Tutsi pour arriver à ses fins politiques dans la gestion du pays. Il réserve les postes stratégiques de la fonction publique à ces chantres et fervents acolytes. Le Hutu-Twa-Tutsi, peu importe, qui accepte de devenir volontiers sa caisse de résonance est compté parmi les favoris à ces postes-clés. Le détournement volontaire de la désignation ou plutôt de la qualification initiale de «Génocide rwandais » – rebaptisé «Génocide des Tutsi» – concourt exactement au renforcement de ses stratégies politiques de se maintenir au pouvoir.
Obsédé de pensées négatives, le régime du Général Paul Kagame délimite certains postes-clés de responsabilité ou y excluent carrément certaines personnes dont ils jugent moins fiables ou soupçonnées d’être imperméable à son idéologie. De même, il prête des intentions négatives à toute personne susceptible de le critiquer ou de l’évincer. Ceux qui l’ont fui appartenant à l’ethnie Hutu, il les qualifie souvent d’Interahamwe (bourreaux des Tutsi à craindre) ; ceux appartenant à l’ethnie Tutsi, quant à eux, il les qualifie d’Ibigarasha (carte ayant moins de valeurs mais dont on peut se servir au moment opportun). Ces Interahamwe (Hutu) sont considérés par le régime du FPR comme des ‘‘monstres dangereux’’ à éliminer ou à défaut à neutraliser dans ses initiatives de reconquête du pouvoir.
Les Ibigarasha (Tutsi), quant à eux, sont à surveiller de plus près et encourager davantage à s’infiltrer dans l’organisation des premiers (Interahamwe) afin de les contrôler et, si besoin, de contrecarrer voire saboter leurs actions décréditant et déstabilisant le régime au pouvoir. Curieusement, bien que ces deux groupes dissidents se retrouvent ensemble en exil, le clivage ethnique se creuse visiblement entre eux. Les ‘‘Interahamwe’’ (Hutu) et les ‘‘Ibigarasha’’ (Tutsi) non seulement se méfient mais aussi se détestent… Chaque groupe ethnique (Hutu ou Tutsi) fait tout pour innocenter les membres de son ethnie même s’ils ont trempé dans le « Génocide » ; chacun fait en sorte qu’un jour il monte au pouvoir pour le monopolise et asservir l’autre. Sur ce, un climat de méfiance sévit au sein de l’opposition. Ainsi, la stratégie politique – issue de la maxime attribuée à Philippe II de Macédoine – selon laquelle pour régner il faut diviser fonctionne à merveille ! Et le régime militaire du Général Paul Kagame s’en réjouit puisqu’il en profite largement.
Le «Génocide des Tutsi», un bouclier d’expansionnisme
Toujours hanté par le « Génocide » – dont il est d’ailleurs, à la fois, auteur et bénéficiaire–, le régime de Paul Kagame utilise sciemment le bouclier de «Génocide des Tutsi» pour justifier l’incursion de son armée dans les pays voisins. Ainsi, sa justification des intentions de guerres et de soutien des campagnes militaires contre les gouvernements des pays voisins, etc. se conçoit dans cette logique.
Le «Génocide des Tutsi», donc, semble être devenu aujourd’hui un bouclier de maintien et d’expansionnisme du pouvoir, tant politique que militaire, du régime militaire de Paul Kagame. Mais pas toujours efficace. Car, en 2015, où le Général Paul Kagame s’en prenait au président Pierre Nkurunziza du Burundi en affirmant gratuitement que celui-ci orchestre un « Génocide » contre les Tutsi, il n’a pas réussi à le prouver ni au sein de la communauté internationale ni non plus au sein de la communauté Tutsi du Burundi et d’ailleurs dans la région de l’Afrique de l’Est. Il y aurait eu plusieurs tentatives d’incursion de son armée au Burundi pour déstabiliser ou renverser le pouvoir du président Nkurunziza (Hutu) mais en vain. Aujourd’hui il est accusé, par le gouvernement burundais, d’y envoyer quelquefois des expéditions sporadiques de sabotage. Et c’est dans le cadre de résistance à de répétitives incursions de bandes armées que le président burundais, Evariste Ndayimiye, s’est rapproché du président congolais, Félix-Antoine Etienne Tshisekedi Tshilombo, pour mettre hors état de nuisance, selon leur propre terme, le Général Paul Kagame et sa clique.
Dans la même logique d’expansionnisme et surtout de conserver et se maintenir au pouvoir à tout prix, le régime militaire de Paul Kagame s’est doté d’un appareil politique efficace : le parlement fortement contrôlé par le parti au pouvoir ; un parlement quasi mono-ethnique (Tutsi) concocté par des Hutu de service. Ainsi, les rapports des parlementaires Rwandais qui, à plusieurs reprises, ont souvent alerté le gouvernement et le public qu’au sein de certaines structures (communautés ecclésiales de base de l’Eglise catholique et de ses séminaires ou encore au sein des associations/ligues des droits de l’homme, etc.) il y aurait une persistante haine ethnique, visant essentiellement l’ethnie Tutsi.
On se souvient encore aujourd’hui du fameux rapport de 2004, dit rapport Mukama Abbas et Safari Stanley. Ce rapport établit ce que le régime militaire du Général Paul Kagame considère comme étant des structures entretenant et vulgarisant l’« idéologie génocidaire », ‘‘ ingengabitekerezo ya jenoside’’. L’Eglise catholique et la Ligue Rwandaise pour la Promotion et la Défense des Droits de l’Homme (LIPRODHOR) en ont été placées en première ligne. Acculée et diabolisée, cette dernière c’est-à-dire la LIPRODHOR a été sommée de fermer immédiatement ses portes. Tous ses employés ont été temporairement suspendus. Et cela dans le prolongement du rapport d’une commission parlementaire spéciale sur « l’idéologie du génocide » du parlement de transition qui avait recommandé au gouvernement la dissolution du parti MDR (Mouvement démocratique républicain), sous l’accusation de « propagation de l’idéologie du génocide ». Et pour rappel, cela intervint quelques semaines avant les élections de 2003.
Ubwoko/ethnie comme énigme et réalité sociologique !
De toute évidence, l’énigme Ubwoko traduit abusivement comme ethnie reste toujours impénétrable, et chacun l’explique à sa manière. Nous n’avons pas de clé magique pour la déchiffrer, mais nous pouvons partager ce que nous croyons comprendre ou avoir appris, par l’expérience. Dans le Kinyarwanda (la langue des Rwandais), et cela depuis des temps immémoriaux, un mot peut avoir plusieurs significations ou interprétations selon le contexte et les domaines : socio-politique et économique ou religieux, etc. D’où, un même individu peut aussi avoir ou être de plusieurs Ubwoko, ce qui semblerait absurde dans l’esprit de l’étranger non averti. Même en parlant d’Ubwoko Hutu, Twa, Tutsi, il arrive, au Rwanda, que deux personnes issues de la même famille se voient attribués des ethnies différentes, l’un Hutu l’autre Tutsi, par exemple. Et, d’ailleurs, durant le fameux « Génocide » de 1994, de nombreuses personnes ou familles issues des mêmes parents se sont vues les unes pourchassées et les autres tolérées car ils n’étaient pas de même Ubwoko. Les bourreaux de tous bords – le camp des Interahamwe et celui des Inkotanyi – pouvaient confondre ou se tromper sur Ubwoko de l’une ou de l’autre. Nous avons aujourd’hui des témoignages de ceux qui ont survécu grâce à la confusion de leurs bourreaux.
Ubwoko/ethnie Hutu-Twa-Tutsi, races issues des mouvements migratoires
Certains pour expliquer ce qu’est Ubwoko/ethnie Hutu-Twa-Tutsi au Rwanda et dans la région de l’Afrique de l’Est avancent l’hypothèse selon laquelle Hutu-Twa-Tutsi seraient des races issues des mouvements migratoires. Certes, au Rwanda antique, comme ailleurs dans le monde, il y eut effectivement des vagues d’arrivés issues de plusieurs races mais on ne peut affirmer avec certitude qu’Ubwoko/ethnie Hutu-Twa-Tutsi est à cent pour cent le fruit de la migration.
Toutefois, il est bien vrai que dans l’apparence, les Tutsi sont assimilables aux peuples nilotiques ou caucasiens, les Hutu aux peuples bantous et les Twa aux pygmoïdes. Ceci est observable sur la physionomie de la plupart des Hutu, Twa et Tutsi. Cependant, la physionomie ne dépend pas que de la race d’origine ou du facteur génétique, elle dépend également de plusieurs autres facteurs aussi importants les uns que les autres: épigénétique, environnement, alimentation, activité professionnelle, conditions de vie, etc., ce qui complique la compréhension de la notion Ubwoko Hutu-Twa-Tutsi.
La corpulence d’un cultivateur, d’un poète ou d’un forgeron peut devenir typique après un certain nombre de générations. Les familles royales se mariaient entre elles, d’où une certaine physionomie souvent attribuable aux seuls Tutsi aujourd’hui, même si cela n’est pas tout à fait correct. Les mariages entre familles royales du Rwanda, du Karagwe (dans l’actuelle Tanzanie), du Burundi, du Bunyabungo (RDC), d’Ankole (Uganda).., étaient fréquents. Les familles de mêmes classes sociales, de la haute noblesse, se mariaient entre elles, se côtoyaient, et les descendants finissaient par présenter des traits physiques caractéristiques. Dans le domaine socio-économique/professionnel et littéraire, Tutsi signifiait éleveur, Hutu cultivateur et Twa potier. Les trois avaient (ont) par ailleurs des danses distinctives reflétant ces activités.
Dans un autre domaine, disons le domaine religieux ou initiatique traditionnel, politique…, les trois notions pouvaient correspondre à des niveaux d’évolution ou d’initiation, les Tutsi étant les plus évolués et ainsi de suite, sans que cela ait rapport au fait que le concerné soit originairement ou professionnellement ou socio-économiquement de tel ou tel Ubwoko, Tutsi, Hutu ou Twa. Encore, du point de vue purement économique et social, par comparaison de deux individus ou de deux familles, Tutsi et Hutu pouvaient tout simplement signifier indépendant et dépendant, ou protecteur et protégé, respectivement.
Nous pouvons alors comprendre que vouloir traduire Ubwoko par Ethnie, sachant que les Rwandais de tous ces Ubwoko parlent la même langue, partagent les mêmes us et mœurs et pratiquent la même religion, serait une démarche erronée qui ne résulterait que dans l’aggravation de la confusion pour ceux qui cherchent à comprendre l’histoire et la société rwandaises sous l’aspect ethnique ou sous celui des conflits dites interethniques.
Un peu avant l’indépendance, quand l’administration coloniale et royale de l’époque – représentée par la Belgique – entamaient l’exercice de créer des livrets d’identification avec la mention Ubwoko, ils ont abusivement choisi le terme d’ethnie. L’exercice fut extrêmement compliqué surtout en ce qui concerne le choix des critères à utiliser pour attribuer l’Ubwoko unique à telle ou telle personne: race? Clan? Ethnie? Communauté? …? Profession? Religion? Aspect socio-économique? … c’était la confusion totale, car les mentions Hutu, Twa, Tutsi pouvaient toutes être valables à beaucoup de Rwandais selon le critère considéré; en d’autres mots, un même individu pouvait être Hutu selon tel critère et Tutsi selon tel autre critère. Tout cela n’avait rien à faire avec la biologie ou la génétique car la femme (la mère) ne donne pas Ubwoko à ses enfants dans la société et la culture rwandaises. L’enfant prend Ubwoko du père ou du grand père quand le père n’est pas connu.
Les autorités de l’époque ont tout tenté, même des mesures ridicules comme l’estimation de la longueur du nez, la taille (hauteur) de l’individu, l’estimation de la taille du bétail (nombre de bêtes) en possession… La tâche devint si compliquée et si difficile à exécuter que, pour en finir, les administrateurs belges décidèrent de trancher une fois pour toutes en disant: “est Tutsi qui se dit Tutsi, est Hutu qui se dit Hutu”. C’est ainsi que les fameuses “ethnies” qui conduiront, moins de quarante ans après, au fameux « Génocide rwandais » de 1994 (reconnu comme tel par les USA et le Royaume Uni), aujourd’hui rebaptisé « Génocide des Tutsi » furent acquises !